Le jour des barbares
porter les armes. Cette
dernière loi est particulièrement intéressante, car elle porte sur un thème que
nous avons déjà eu maintes fois l’occasion d’aborder : l’utilisation des
immigrés dans l’armée. L’empereur condamne à être brûlé vif tout exploitant
agricole qui aura dissimulé la présence d’un immigré parmi ses ouvriers ; tous
les immigrés doivent être signalés et consignés aux bureaux de recrutement.
Avec ces méthodes draconiennes, Théodose réussit tant bien
que mal à remettre sur pied une armée, tout en engageant comme mercenaires des
Huns et même des Goths. Il faut rappeler ici que, si les bandes entrées dans l’empire
s’étaient consolidées en une armée unique sous la direction de Fritigern, en
réalité les Goths continuaient d’être un ensemble de tribus, parfois sans aucun
lien les unes avec les autres. Bon nombre de ces tribus étaient restées de l’autre
côté du Danube et s’étaient réfugiées dans les zones montagneuses où elles
avaient pu échapper aux Huns. Théodose n’hésita pas à entamer des pourparlers
avec leurs chefs, offrant des conditions avantageuses à ceux qui accepteraient
de lui fournir des mercenaires pour combattre les autres Goths, et quelques-uns
de ces chefs acceptèrent. Il y en avait un en particulier, Athanaric, qui
pendant quelque temps avait joui d’une grande popularité chez les Goths et
avait combattu les Romains, puis s’était éloigné du devant de la scène, notamment
parce qu’il était vieux. Théodose l’invita à Constantinople, l’accueillit avec
tous les honneurs et lui fit ériger une statue dans l’hippodrome, à côté de
celles des politiciens romains ; Athanaric mourut peu après, mais de
nombreux guerriers l’avaient accompagné et acceptèrent de se battre pour le
compte des Romains.
4.
Il n’était pas évident que l’armée reconstituée par Théodose
fût en mesure de réussir là où celle de Valens avait échoué. Les vétérans
tombés à Andrinople n’étaient pas faciles à remplacer, et les nouveaux
régiments n’étaient certes pas à la hauteur de ceux qui avaient été anéantis. Aux
yeux de Théodose, toutefois, la fonction principale de cette armée était moins
de vaincre les Goths que de les obliger à négocier et à accepter un compromis
raisonnable. Même si Andrinople avait été une victoire écrasante, dépassant
toutes leurs espérances, la situation des vainqueurs restait précaire. L’habileté
stratégique des chefs goths était de peu d’utilité, puisque leurs troupes ne
parvenaient pas à prendre les villes ; sans cités fortifiées où s’installer
pour passer l’hiver, les barbares avaient beau être maîtres de la Thrace et
pousser leurs incursions jusqu’aux faubourgs de Constantinople, on ne pouvait
pas dire qu’ils avaient conquis le pays. Tout bien armés qu’ils fussent, ils n’étaient
jamais que des pillards vagabonds ; et, pour ne rien arranger, l’autorité
que Fritigern avait su obtenir au moment du péril s’était en partie dissoute au
lendemain de la victoire, lorsque tout paraissait possible ; beaucoup de
chefs avaient alors décidé de reprendre leur indépendance.
Théodose et Gratien menèrent les opérations avec prudence, réoccupèrent
petit à petit le terrain perdu et garantirent la sécurité de Constantinople, cherchant
à démontrer aux Goths que l’empire était encore capable de leur faire payer
cher leur impertinence. C’était en partie un bluff, mais qui se révéla payant. L’un
après l’autre, les chefs de bande se laissèrent convaincre de faire la paix, moyennant
des conditions à peu près semblables à celles que Valens avait initialement
promises et n’avait pas respectées. Certains chefs reçurent assez de terres à
cultiver pour que les familles de leurs hommes puissent s’y installer, dans les
zones mêmes qu’ils avaient désertifiées par des années de saccage et d’atrocités ;
certains autres se virent attribuer un titre d’officier et un salaire dans l’armée,
et leurs hommes s’engagèrent dans les troupes régulières. Enfin, en 382, Théodose
réussit à marquer un point décisif en persuadant Fritigern, qui commandait
encore la bande la plus nombreuse, d’accepter de négocier.
Pour discuter avec Fritigern, il envoya un personnage que
nous avons déjà rencontré : ce Saturninus qui avait dirigé les opérations
contre les Goths un an avant la bataille d’Andrinople, et qui
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