Le jour des reines
été passé au vermillon. Sur un petit talus, entre deux étroites tribunes, s’élevait une sorte d’escalier aux marches larges, habillées de velours noir. On avait suspendu au-dessus un vélum azuré frangé de pommettes et de glands dorés. Cette toile aux plis serrés préserverait au besoin de la pluie les rois d’armes, conseillers, hérauts et chapelains, mires et juges diseurs : toute la gent d’esprit, de clairvoyance et de clergie indispensable au bon développement d’une fête d’armes.
— Des échafauds [148] sur toute une longueur. Le grand que tu vois en face est réservé au roi et à ses fidèles pour les concours d’archerie. Je ne sais si nous en serons : il serait imprudent, si les loups de Winslow ou de Ferris sont présents, de nous exposer à leur vengeance.
« Et celle d’Élisabeth ? » songea Ogier, tandis que son compère continuait :
— Pour chaque jouteur, une course à fournir de plus de cinquante toises.
— On se fera mal. Plus il choira de chevaliers anglais, plus ils se briseront les membres, moins la bonne gent de mon pays souffrira de leur dureté.
Shirton se contenta d’un sourire tandis que, venant sûrement du château, une procession de prisonniers apparaissait. Lents et mornes, surveillés par quatre archers, ils tenaient dessous ou sur l’épaule, roulés et serrés par des cordes, les tentures et chemins d’escalier destinés à la tribune royale sur le toit de laquelle ondoyaient quatre bannières aux armes de l’Angleterre.
Les geôliers laissaient peser sur les captifs un mépris qu’un des leurs assortissait d’insultes. Shirton ne les traduisit pas, mais commenta :
— Il trouve qu’ils font exprès d’avancer lentement.
— Pourquoi donneraient-ils satisfaction à un ennemi qui leur jette l’opprobre ?… Mangent-ils seulement à leur faim ? Il ne le paraît pas.
— Ce sont des piétons : archers, arbalétriers, vougiers…
— Est-ce une raison ?
— Certes non !… Il y a quelques chevaliers.
— De qui tiens-tu cela ?
— De Sarah, reine des plumassières. Quatre barons de France et six Escots sont là. Ils ont refusé d’acquitter leur rançon, les uns par fierté, les autres parce qu’elle est grosse et qu’ils sont pauvres.
Un cavalier vint galoper le long de la barrière centrale.
— Simon de Brackley.
— Je l’avais reconnu… Il était chez Ferris. Vois… Est-ce d’un prud’homme ?
Brackley criait et menaçait les prisonniers de son poing ganté de rouge.
— Il se croit partout chez lui, ce grand fumeux !… Encore un que tu voudrais bouteculer d’un coup de lance !
— Oui, Jack. Férocement !… J’ai déjà justicié quelques présomptueux. C’est un soulas [149] que tu ne peux comprendre.
— Crois-tu qu’avec mon arc je n’en fais pas autant ?
Un vieillard mal vêtu garnissait les traverses de cette claire-voie le long de laquelle, sans doute, Brackley s’imaginait, lance au poing, fournissant une course victorieuse. Captif ou serviteur, l’ancien n’avait pas bronché, puisant dans une banne d’osier des manchons de soie d’or et de pourpre dont les festons, une fois déployés, flottaient au vent.
— Je voudrais bien qu’il se retourne, dit Ogier, la gorge serrée.
— Qui ? Brackley ?
— Non ! Cet homme qui enjolive le palis de la joute. Je crois connaître ce dos et ce cou vigoureux… Tu me parlais de chevaliers incapables de payer leur rançon. Or, si cet homme est un otage, il se peut que ce soit…
Le vieillard se leva, porta ses mains à ses reins et montra son profil.
— C’est lui.
Ce n’était ni un cri ni un gémissement de compassion ; c’était juste un soupir, et les lèvres d’Ogier n’en avaient pas frémi.
— Mon oncle, ajouta-t-il. C’est mon oncle Guillaume.
— Goddam ! s’exclama Shirton. Que tu aies vu sa fille sur L’Édouarde, soit : elle est l’amante d’un chevalier de chez nous. Mais lui !
— Je t’ai dit qu’il était prisonnier quelque part dans la Grande Île. Un homme du nom d’Enguerrand de Briatexte m’en avait informé.
— Je ne sais si l’on peut appeler ce qui t’advient un miracle, mais…
— Je loue le Seigneur du présent qu’il me fait.
Tout l’édifice d’une admiration et d’une révérence anciennes se reconstituait dans l’esprit d’Ogier. Sans doute Guillaume de Rechignac le détestait-il encore pour avoir, croyait-il, fui son château en compagnie de
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