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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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les trefs et les aucubes, sous les regards indifférents de leurs occupants et de leur valetaille. Çà et là, un pavillon était occupé par une dame et ses servantes. Par la brèche de l’entrée, on pouvait entrevoir des nudités accroupies dans des cuveaux de bois, sur lesquelles coulaient des ruisselets d’eau fumante. Des hommes de toute condition alentissaient et même suspendaient leur marche pour guigner ces Mélusines. Ils repartaient pensifs en restant sur leur faim.
    Dans les ruelles séparant les maisons de toile, un va-et-vient se constituait. Ogier y retrouvait, comme en France, ces théories d’écuyers auxquels, plus que les qualités de cœur et les vertus martiales, la fortune servait de montoir. On les sentait occupés de leur rang, de la splendeur de leurs vêtements et de leurs armes. Leur présomption tombait à plat : c’étaient ces effrontés qui agaçaient les femmes du commun, tâtonnaient leurs pucelles au passage et les injuriaient quand elles regimbaient. Hors des devoirs dus au seigneur et des galops d’exercice, leur séjour leur eût paru bien fade s’ils n’avaient pratiqué ces jeux qui peut-être, la nuit, s’achevaient par des viols.
    — Nous avons nous aussi des gars de cette espèce.
    — Ah ! tu vois… Et ceux-là te déplaisent ?
    — Ni plus ni moins que ceux de mon pays. Ils n’ont point l’importance à laquelle ils prétendent. Leurs soieries, leurs camocas, leurs ceintures orfévrées ne sauraient me faire regretter les vêtements que je porte… Vois un peu ces deux-là !
    Ils avaient dix-sept ans, sans doute. Coiffés d’un chaperon rose formé en crête de coq, ils portaient dignement, par-dessus leur gambison de velours cramoisi, une cotte d’armes déchiquetée en barbe d’écrevisse : le dernier feston de chaque coudière touchait le sol même lorsqu’ils amenaient leurs bras à hauteur de leur poitrine. Leurs bas-de-chausses étaient mi-parti de rouge et de vert.
    — On dirait de grands gerfauts bâtardés de papegais !
    Ne pouvant chausser les éperons d’or, ils en avaient d’argent, ronds, épais comme des boîtes à miroir, hérissés de quatre ou six pointes.
    — S’ils accrochaient leurs manches à leurs molettes, ils tomberaient sans pouvoir se dépêtrer !… J’en ai vu des centaines de la même espèce dans l’armée du roi Philippe. La même frisqueté [147] , la même arrogance. Ils n’ont eu, devant Calais, ni le temps ni l’occasion de déployer leur courage.
    — Regarde.
    Cette fois, du menton, Shirton désignait des adultes.
    — Les habits sont les mêmes…
    — Mais point ce qu’ils contiennent.
    Du coin de l’œil, Ogier observa ces guerriers. Les plus âgés avaient survécu aux combats contre les Écossais et aux affrontements contre les hommes d’armes du royaume de France lors du grand randon qui les avait menés de la Hogue-Saint-Vaast à Auteuil, et de là sur la butte de Crécy. Leur vue provoquait en sa conscience une impression pénible, voisine de ce qui, corporellement, eût représenté l’atrophie des bras ou des jambes ; et leur voisinage, en ravivant les feux éteints de ses blessures, aggravait son sentiment de petitesse et d’inutilité. Shirton le toucha légèrement de son coude :
    — Aucun d’eux ne nous voit.
    — Si nous avions pris nos arcs, nous prêteraient-ils attention ?
    — Le mépris serait mort, l’intérêt éveillé.
    Ogier retint un bâillement. Il avait peu dormi. Encourtiné par le grand drap qui, comme un parement d’autel, recouvrait l’étal des plumassières, frissonnant de froid et d’inquiétude, ses pensées n’avaient cessé de s’agiter sans qu’Élisabeth et Griselda en fussent cause. Son ouïe captait jusqu’à l’orée de la forêt d’Ashby les hurlements et les chants des hommes, leurs disputes brèves et d’autant plus criardes, les hennissements des chevaux, les rires des ribaudes assemblées quelque part derrière le château. Maintenant, les yeux grands ouverts, il essayait de se persuader qu’il n’était point amoindri par cette veille.
    — Allons regarder le champ clos, dit Shirton. Nous y entrerons peut-être.
    — À ton gré…
    Les barrières avaient été posées. Celles qui limitaient la lice, peintes au blanc de céruse, étaient sensiblement plus hautes que celles qui, une toise au-delà, formaient le couloir destiné aux juges. Le garde-corps de celles-ci, où viendrait s’appuyer une partie du public, avait

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