Le jour des reines
orfévrées, des buires de grès ou d’étain, des drageoirs de vermeil pareils à des cervelières, des aiguières ornées de pierreries plus encore que n’en pussent porter des princesses. Des jouvencelles dont les vastes manches voletaient comme des ailes de papillon, présentaient aux invités, sur des plateaux, des petits pâtés feuilletés, dorés comme des éperons, des gaufres ruisselantes de miel ou de compote, des rondelles de bacon et de saucisson, des quartiers de pommes et de poires confites, tandis que des échansons en livrée offraient des gobelets de vin blanc ou rouge emplis aux chantepleures de deux barils pansus.
« Ils s’empiffrent de tout ce qu’ils nous ont robé ! »
Au milieu de la table, des galettes disposées en façon de château – la reproduction d’Ashby – attiraient les regards et avivaient les appétits. Une femme coiffée de ses seuls cheveux tressés en couronne s’attaqua aux merlons de la forteresse après avoir reçu l’assentiment de son époux ; une autre guigna la tour portière dont elle s’appropria la bannière en craquelin. Les assiégeants se préparaient à batailler pour démanteler l’édifice quand, prompte, une dextre d’homme, puissante et crochue, éloignant toutes les autres, s’en prit au gros donjon qui s’effondra d’un coup. On eût pu d’un grand cri tancer le malappris ; on l’ovationna, au contraire. Un sommelier hilare s’écria :
— Qu’il en soit fait ainsi des châteaux de Philippe !
La main dévastatrice était celle du roi.
Ogier se recula dans l’angle formé par la muraille et l’estrade des ménétriers. « S’il me voit, je serai peut-être mis à mort. » Cette crainte le tourmentait cependant moins que son estomac. L’abondance des mets, des boissons, et l’usage immodéré qu’en faisaient certains gloutons avaient excité une malefaim dont il n’avait point coutume.
« Il semble que j’aie jeûné comme un chien de meute avant la chasse ! »
Soudainement hargneux, les tempes bourdonnantes, il épia ce souverain dont il connaissait déjà l’âpreté, la moquerie tranchante et la violence effrénée. Il en découvrait la boulimie. Édouard III saisissait des pâtés et des gaufres et les entonnait presque sans souffler. Il trempait ses doigts dans la sauce d’une fricassée d’on ne savait quoi et s’en repaissait tout en invitant ses hommes liges à l’imiter. Après qu’un gros hoquet lui eut vidé la gorge, il suçota ses mains en proclamant : « Delicious ! Delicious ! » Le sommelier obséquieux lui offrit un hanap d’or, tiré de dessous la table et réservé à son intention :
— Du vin, sire, de votre fidèle Aquitaine.
Le roi lampa le tout et, de son avant-bras, s’épongea lèvres et moustache.
« Il dévore aussi salement qu’un soudoyer de son armée ! »
Édouard III eût pu passer pour un manant s’il n’avait porté, par-dessus son galeron, une petite couronne d’or fleurdelisée. Sa barbe blonde était soigneusement cardée ; ses larges épaules, couvertes d’un paletoc gris, oscillaient selon le flux et le reflux de ses adulateurs : des damoiseaux et des écuyers conscients de composer le fleuron de cette cohue de mâles en quête d’un regard ou d’une flatterie.
« Il en est ainsi de Philippe et de ses capitaines. “Haut les cœurs” , songent-ils tout en s’aplatissant. »
Cette saillie ne fit qu’aggraver un dépit presque insoutenable. Avec la farouche insistance des déshérités et des vaincus pour ceux dont la gaieté, la puissance et la fortune revêtent l’aspect d’une injure, Ogier scrutait les visages de ces privilégiés. Il n’avait fait qu’entrevoir Renaud de Cobham quand, à Calais, on l’avait transporté sur l’Édouarde. Son tourmenteur ne figurait pas dans l’entourage immédiat d’Édouard III, ni apparemment Gauthier de Masny. Toutes ces têtes rieuses n’étaient hélas ! point dominées par celle de Hugh Calveley.
« Reviens auprès de Griselda. Si tu pars maintenant, sans attendre davantage, tu la trouveras guérie. »
C’était sottise, en vérité, mais il s’accrocha désespérément à cet enfantillage.
Les ménétriers jouaient toujours. Sauf une brunette peu encline à gratter sa guiterne, aucun d’eux n’avait remarqué sa présence. Il décida de marcher vers le centre de la cour afin de tourner le dos à la plupart des hommes. Lorsqu’il se serait soustrait à leur curiosité,
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