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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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qui, sans doute, remontait aux belles années de Rechignac.
    — Et pendant tout ce temps, moi, j’étais ici… La rudesse et l’avilissement sont pires, parfois, que les brodequins ou la poire d’angoisse. Je t’ai maudit de m’avoir trahi pour épargner à Tancrède un mariage que je réprouvais tout au fond de mon cœur… J’ai du fiel dans le sang depuis l’enfance prime.
    — Mon oncle !
    — Je n’ai guère été courtois avec Guibourc, ma femme. Blanquefort l’avait courtisée avant que son père ne me l’accorde… J’aurais pu la lui laisser. Non ! Je l’ai épousée triomphalement alors que je connaissais sa préférence pour Hugues… Entre lui et moi, depuis toujours, quelque chose n’était pas clair. Je savais qu’il était un bâtard de mon père. Nous étions nés dans la même semaine et, tu l’as su, ma mère était morte en couches… Je me suis parfois demandé si la nourrice – la mère d’Hugues –, lorsque nous étions au berceau, ne nous avait pas confondus une fois pour toutes… volontairement. Je serais le bâtard… et lui le noble homme… Et plus encore !
    — Qu’allez-vous penser là !
    — J’ai toujours douté de la filiation de Tancrède… C’est pour l’éloigner de Blanquefort que je l’ai envoyée cinq ans chez les nonnes de Lubersac…
    Ogier se dit qu’il écoutait des aveux terribles. De ces aveux que les gens font lorsqu’ils se sentent en péril de mort. Vivant à Rechignac toute son enfance prime, Tancrède n’eût certainement pas connu, pour l’amour, ces appétits que Guillaume ignorait.
    — Mon oncle, nous reparlerons de ces choses, si l’envie vous en prend, lorsque nous serons libres.
    Guillaume acquiesça, soupira :
    — Je ne sais même pas ce qu’est devenue Claresme, mon ains-née… Ma grande fille… Mais je n’ai parlé que de moi… Comment va ma sœur ?
    — Mère est morte.
    — Pauvre Luciane !
    — La vie à Gratot, que Blainville assaillait parfois avec ses mercenaires, fut un supplice…
    — Et Godefroy ?
    — Il est comme un très vieux flambeau qui se consume.
    — Et toi ?… La flamme est haute ?
    — Point trop pour parler net.
    — La fille de ta vie, je crois que c’était Anne, mais elle n’était que lavandière. Pour les femmes, aucune Chevalerie n’existe qui leur permette d’obtenir le rang qui leur est dû autant par leur beauté que par leurs qualités de cœur.
    — C’est vrai.
    — Elle a un enfant de toi… que tu ne connais pas.
    — C’est vrai.
    — Cet enfant ne pourra devenir qu’un huron.
    — Croyez bien que je le déplore.
    — Ce n’est pas un bûcheron comme le Thibaut qui en fera un noble homme.
    — J’y ai songé, mais que puis-je faire ?… Aller le chercher, le présenter à Blandine et lui dire que c’est mon fils ou ma fille ?… Elle me crèverait les yeux !
    — Elle est ainsi ?
    — Pis encore.
    — Alors, je te plains… Si je reviens à Rechignac, je me soucierai de cet enfant… Je le prendrai – fille ou garçon – sous ma protection… Si c’est un gars, j’en ferai un écuyer…
    — Je vous en sais bon gré.
    — Ce qui me chagrinerait, c’est que ce soit un gars et que ton épouse ait mis au monde une fille !
    Ogier avait songé à cette éventualité. Fils ou fille, il chérirait cet enfant-là, et peut-être Blandine en serait-elle jalouse.
    Guillaume toussota, se gratta. Une sorte de fureur semblait couler dans ses veines.
    — Putain de vie, dit-il, mais elle est précieuse.
    — C’est vrai… Vous verrez que lundi, dès l’aube, elle nous paraîtra plus belle.
    Et sur ce gros mensonge, Ogier ferma les yeux.

TROISIÈME PARTIE L’ÉPÉE DANS L’HERBE

I
    Hormis la lice claire que tranchait net, par moitié, la barrière dont le vent remuait les festons d’or et de pourpre, la clairière d’Ashby, emplie d’une grosse affluence, bouillonnait de mouvements, de couleurs et de bruits.
    Accourue dès le début de la matinée, cette multitude de hurons et de manants, de soudoyers exemptés de service, de nobles de petite et moyenne condition tenait tant d’espace autour du champ clos que maints hommes irrévérencieux s’étaient juchés sur les toits des tribunes, y entraînant leurs enfants, cependant que d’autres, plus nombreux, étaient montés aux arbres : assis sur les grosses branches, jambes pendantes, ils observaient alternativement, à chaque extrémité du terrain au gazon fraîchement

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