Le jour des reines
vous appartenir !
Il semblait s’exprimer comme devant un égal. S’il l’eût pu, il ne se fut pas gêné pour provoquer le roi d’Angleterre. Mais la raison lui revint et, avec elle, un souci des plus justifiés :
— Où allons-nous passer le reste de la nuit ?
— Au donjon, messire ! Au donjon !… N’oubliez pas qui vous êtes et ce que l’on vous reproche.
Cette fois, Édouard III ne riait plus. Il devait se sentir perdant, et le regard réprobateur d’Offord lui donnait un malaise.
Le chancelier s’en alla toquer à la porte. Wilf parut, se courba et attendit un ordre. Il vint avec un bruit de claquoir :
— Au donjon.
— Dans une geôle ?
— Non, dans la salle des gardes, sur une jonchée de paille.
— Il en sera fait ainsi, Votre Majesté.
Le roi tendit l’index vers la porte entrouverte. Ogier salua et partit le premier, affolant, sur son passage, les petits fuseaux d’or des chandelles. Guillaume le rejoignit et lui posa la main sur l’épaule, moins par familiarité que pour se soutenir.
— Ouïr de tels propos ! murmura-t-il. La savoir présente…
— Rien de meilleur ne pouvait nous advenir.
Ogier se sentit transpercé d’un regard incrédule. Et furibond. Il sourit.
— En es-tu sûr ?
— Certain… Elle connaît Jeanne de Kent.
Ils se turent : Wilf les observait avec une malignité qui ne pouvait qu’exciter la méfiance. Passant devant un huis d’où filtraient des rires, Ogier crut reconnaître ceux de Tancrède et d’Odile.
— Qui loge céans ? demanda-t-il, doutant d’obtenir une réponse.
— Une Française et deux nobles dames anglaises. Elles couchent ensemble.
Wilf souriait, un œil cligné. Se doutait-il des jeux qui se pratiquaient là ? Barbeyrac, lui aussi, sourit et, insidieusement :
— Le roi n’essaie pas de leur rendre visite ?
Wilf haussa une épaule et soupira.
— Trois nobles dames et une chambrière c’est, même pour un roi, une… brochette indigeste ! Il voulait, cette nuit, la reine dans son lit… Pas Philippa ; la reine des joutes : la belle Jeanne. Il lui a fait sa cour au repas de ce soir… Échec, messires. Peut-être regrette-t-il d’avoir contribué à son élévation avant qu’elle ne soit arrivée avec quatre chambrières et deux guisarmiers qui veilleront à sa porte… Il s’est rabattu sur la Française. Elle aussi refuse de lui céder.
Ogier, rassuré, se tourna vers Guillaume :
— Elle mérite votre bienveillance : pour ne pas le préjudicier elle a changé de nom.
La salle des gardes avait l’aspect d’une geôle : murs nus, pavement noir, pénombre délétère léchée par les langues rouges de deux torches à long manche. Cela sentait la sueur et le champignon. De douteuses macules sinuaient sur les dalles feutrées d’une poussière ineffaçable. Scellés dans les pierres brunies jusqu’à hauteur d’homme, de gros pitons semblaient attendre qu’on y suspendît des captifs : rassemblées à la base du râtelier d’armes, des chaînes allongeaient leurs anneaux visqueux. Une étroite embrasure permettait le passage à l’air du dehors ; il se souillait sitôt entré.
— Nous allons geler, grogna Guillaume. Nous y sommes accoutumés, Étienne et moi… Mais toi ?
— Je sais depuis longtemps m’accommoder de tout ! Je n’espérais pas trouver céans l’accueil qu’on obtient dans une bonne auberge…
— Moi, Ogier, interrompit Barbeyrac, je me console en me disant que j’ai peu souffert dans cette embûche, sauf d’un petit taillant à la main…
— C’est moi qui vous l’ai fait, dit Wilf.
Il était fier de ce coup-là. Barbeyrac lui en fit compliment tout en frottant sa dextre ensanglantée contre sa cuisse. Affirmant que cette blessure ne l’empêcherait en rien de tenir une épée, il poursuivit :
— Sois présent, Wilf, à l’entour du champ clos.
— Dormez, messire… Qui sait comment sont faits les dortoirs du Très-haut !
La paille étalée dans un angle semblait une nappe d’or mat sur laquelle, le long du mur ouvert sur l’extérieur, un homme reposait, la tête sous une peau d’ours pelée dont l’extrémité couvrait ses reins, sans plus. Ogier se tourna vers Wilf :
— Il paraît bien chanceux… Aurons-nous de quoi nous couvrir ?
Le capitaine montra la huche qui, avec un banc, une table et le râtelier vide, composait l’ameublement de la salle.
— Servez-vous. Une flassarde [234] par homme. Cette
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