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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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taillait à grands coups, prenant son temps. Il me faudra me montrer vivace, astucieux…
    — Allons, rejoins-nous, mon neveu… N’entends-tu point ces fils de Belzébuth qui te sifflent et te huent ?
    — À peine, mon oncle. Je les décevrai dans leurs espérances… Je me sens moins aduré [242] qu’à Sangatte ; mon courroux pourvoira sans doute à mes faiblesses, car je sais bien, hélas ! que j’en aurai.
    Il continuait d’observer les gens, insensible aux huées, aux poings tendus, aux rires malicieux des dames mises en gaieté par la certitude d’assister au trépas des Français. L’une d’elles, à hauts cris, proposa qu’au lieu de les mettre en terre on les jetât dans l’étang ; une donzelle à la voix tout essoufflée d’audace suggéra qu’on les émasculât pour qu’en enfer ils ne pussent enfanter des succubes. L’on vouait les trois otages aux fagots de Bélial quand des ménétriers apparurent – ceux du château renforcés d’une vingtaine d’autres. Ils prirent place sur des bancs, deux par deux, devant la tribune des dames – demi-pleine –, et jouèrent aussitôt.
    C’était la musique la plus complète et la plus bruyante qui dût exister sur la Grande Île. La plupart des instruments y figuraient : psaltérion, orgue portatif, nacaires, demi-canon, cornet, guiternes latine et moresque, flûte behaigne, trompettes, vielle, pibroch et tambourins. Et tandis que des cymbales s’écrasaient l’une contre l’autre, le regard d’Ogier s’égara vers l’échafaud des dames, toutes richement accoutrées, comme il se fut égaré sur un dressoir où l’on eût mis en montre des merveilles d’orfèvrerie. Étaient-elles aussi assoiffées de sang, ces gentilfames, que celles qui malmenaient leurs épaules et leur gorge derrière les barrières toutes proches ? Ne commentaient-elles pas défavorablement, à mi-voix, l’accession de Jeanne de Kent à la couronne d’honneur et de justice ? Toutes devaient plus ou moins la connaître, fût-ce du regard. Sans doute, quelques-unes d’entre elles, de mœurs peu farouches mais d’allure imprenable, auguraient-elles, dans un gazouillement semé de petits rires, de la suite que ce bordelier d’Édouard IIIdonnerait à cette élévation.
    — Il n’a pas amené la reine Philippa.
    — Sûrement qu’elle est enceinte, ricana Guillaume. Ne sais-tu pas que tous les trousseurs de jupons, pour avoir la paix, ne cessent d’engrosser leur épouse ? (Puis, dans un grommellement indéfinissable :) Tu pensais à elle , pas vrai ?
    — Non… C’est vous, en vérité, qui m’y faites penser.
    Ogier regarda du côté de l’étang. Quelle clarté au-delà de la foule ! Dire que sous cette clairière argentée, des poissons de mort ondoyaient !
    Qu’eût pensé Griselda de ces préparatifs ? Elle en eût ri, sans nul doute. Elle ne reposait pas en terre ecclésiastique, mais qu’importait ! Son âme vaguait dans ce ciel de novembre, et son vol était pur comme celui de Tom.
     
    *
     
    C’était maintenant, sur toute la longueur du champ réservé aux édiles, au Clergé, à la haute noblesse et aux vendeurs de douceurs, un continuel va-et-vient : seigneurs, juges diseurs, hérauts, prélats et moines ; gentilfames – certaines avec des enfants dont il fallait aguerrir l’esprit – gravissaient les échelles des échafauds, et des mains serviables empaumaient quelques croupes. L’on prenait place en s’informant, auprès de ses voisins plus ou moins frileux, de l’agencement des bandors [243] . Après avoir déploré la froidure et la pluie qui, depuis la nuit, n’en finissait pas de tomber, les hommes conversaient entre eux, émiettant les communs souvenirs de leurs prouesses tandis que leurs femmes égrenaient quelques légèretés en s’épiant du coin de l’œil. Il n’en était pas une, sans doute, qui ne se trouvât plus belle et mieux apprêtée dans ses brocarts de Gênes ou de Milan, que l’autre dans ses velours de Smyrne ou d’Andrinople : leur chape [244] les laissait savamment entrevoir.
    Guillaume posa sa dextre sur l’épaule de son neveu :
    — Rien de bien différent de ce que nous faisons. Les dames viennent moins pour voir les jouteurs que pour s’entre-défier, se haussebecquer [245] et quérir l’admiration de leurs compagnons… et de leurs amants, s’ils courent des lances.
    — Souvenez-vous de ce qu’en disait votre chapelain, Arnaud Clergue : No spectatum

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