Le jour des reines
éprouvés avec leurs armures, ils nous offrent des lames saines. Deux taillants du talon à la pointe et qui sentent encore le baiser de la meule !
— Rien à dire, en effet, fit Ogier dont la minutie n’était jamais prise en défaut. Rien ne branle là-dedans.
— Elles font la longueur d’un bras.
— Elles sont peut-être un peu trop lourdes pour mon goût, dit Barbeyrac, mais comme on peut les poigner aisément à deux mains, elles pèseront moitié moins !
Il riait mais le fond de son cœur était noir. Le fait de toucher à ces armes assombrissait et affaiblissait sa témérité. L’on pouvait périr de sa propre épée dès que son maniement devenait lent et malhabile. Si l’on ne l’employait qu’à se défendre, c’était signe de mort prochaine.
Les fourreaux d’où ils avaient tiré les lames étaient faits de lattes de hêtre recouvertes de cuir brut maintenu par quatre viroles et une bouterolle d’argent. Deux bracelets du même métal munis d’anneaux destinés à recevoir les crochets des bélières de suspension enserraient leur partie supérieure. Ogier, qui examinait la gaine de l’arme choisie par son oncle, s’approcha du seuil de la tente.
— Thomas de Ballancourt, lut-il à haute voix. Cela est gravé sur une virole.
— Gauthier de Frétigny, lut Barbeyrac sur le pommeau de son épée.
— Ils sont sans doute morts, dit Guillaume. J’ai toujours refusé de dépouiller qui que ce soit sur un champ de bataille. Les Goddons n’ont aucun respect des trépassés.
— Ces deux chevaliers étaient de notre estoc [258] . Nous les vengerons !
Barbeyrac semblait croire à ce qu’il affirmait, mais il avait perdu son sourire. Ogier le rassura :
— Certes ! Certes, nous les vengerons ainsi que tous ceux qui sont morts devant et par l’engeance d’Édouard !… J’avoue, cependant, que Cobham m’effraye… Il n’est ni homme à jouer de la turlurette ni homme à s’apitoyer aux malheurs d’autrui. Mes chairs et mon oreille me cuisent à nouveau rien qu’à la pensée de le voir. Il m’a vaincu ; il croit pouvoir recommencer. Il aura toutes les audaces, toutes les vigueurs, toutes les traîtrises. Il n’a cessé d’entretenir sa force à la guerre ; la mienne s’est corrompue dans l’oisiveté.
— Ton savoir suppléera aux faiblesses et aux défauts de ta condition, mon neveu. Allons voir ces lances !
Elles étaient en frêne, longues d’une toise et demie, fortement évidées à la prise et pourvues d’une agrappe [259] solidement fixée à un pied du bas de la hampe. Quant aux fers qui les armaient, tous étaient renflés, en forme de feuille de saule ou de laurier.
— Eh bien, dit Barbeyrac, attendons les chevaux.
— Les voilà, Étienne, dit Ogier. Les restes de nos fourniments sont attachés à leur selle. Voyez ces gros sacs gonflés. Point d’avoine là-dedans.
— C’est Wilf qui nous les amène. N’est-il pas serviable, ce Goddon ?
Cessant de rire, Guillaume recommanda :
— Il va falloir examiner les selles dessus et dessous, les cuirs des harnois et jusqu’aux sabots de ces roncins. Défions-nous des pointes et des épines… Des miettes de chardon, surtout, qui font grand mal.
Les chevaux avaient belle apparence.
— Des béhaignons [260] , évidemment, dit Ogier. Leurs crins d’encolure ne sont pas tressés, ni leurs queues troussées à la façon d’Angleterre.
— Eh oui ! dit mélancoliquement Guillaume. Flottants et bien peignés. J’aime les femmes ainsi coiffées…
À qui songeait-il ? Sûrement pas à Mathilde, sa concubine. À Tancrède ? Peut-être. À Claresme sinon à son épouse dont la longue chevelure brune, dénouée, hantait ses nuits sans femme et non pas sans désirs.
Son choix se porta sur un essorillé à la robe ardoisée, luisante, frémissante. Ogier compara sa crinière à la chevelure d’Éthelinde qui, sans doute assise sur le banc avancé de l’échafaud des dames, attendait impatiemment les combats.
— Lequel prendras-tu, Argouges ? demanda Barbeyrac. Ce fauveau ou le noir ?
— Le fauveau semble te plaire.
— Et pour cause ! C’est un travat [261] comme celui qu’ils m’ont pris à Auberoche.
— Eh bien, ton choix me plaît. Marchegai ressemble à ce noir.
Tous les chevaux étaient pourvus d’une grosse et large bride, munis de rênes ajoutées sur un mors sans branches. « Ils seront d’un maniement malaisé », songea Ogier. « Si les Goddons
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