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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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son adversaire, mais il l’imaginait et se voyait le repoussant irrésistiblement.
    Alors que sa franchise lui donnait à l’avance un sentiment de culpabilité, Ogier crut bon de tempérer tant de hargne :
    — Ces anneaux sont seyants, mon oncle. Mais ne sont-ils point trop lourds ?… Vous allez avoir quelque trente-cinq livres sur le corps : ce sont des mailles treslies [251] à grains d’orge rivés… Sans compter le bourras dont vous serez couvert…
    — La rage et le bon droit me fourniront des forces !
    Que répondre à cela ? Sans faire aucune allusion à ce qu’il venait d’entendre, mais tout en partageant l’inquiétude d’Ogier, Barbeyrac intervint avec une vivacité joyeuse, trop exagérée pour être sincère :
    — Bien dit, Guillaume… Mais ôte ces anneaux : il n’est pas encore temps de supporter ce fer.
    Alors qu’ils parvenaient à se constituer une défense convenable, Wilf apparut :
    — Messires, voilà le bourras et de quoi compléter vos harnois.
    Le sergent qui l’accompagnait jeta la brassée de vêtements matelassés sur le seuil du pavillon, dans la boue.
    — Encore un qui nous aime ! s’écria Barbeyrac. Dites-lui, Wilf, de reprendre cela et de le mettre à l’intérieur.
    Sur un commandement fourni en anglais, l’homme s’exécuta.
    — Pourquoi, demanda Guillaume, votre compère auquel nous devons ces merveilles (il montra le tas de plates au milieu de la tente) n’est-il pas revenu ?
    — Il va revenir. N’ayez crainte.
    — Bien ! ricana Guillaume. Sa hure de singe me plaisait. Il a une tête pour monter aux arbres si j’ose dire !… Sache-le, Wilf : il nous manque certaines choses essentielles.
    — Lesquelles ? demanda le capitaine avec une affabilité sous laquelle frémissait de l’indignation.
    — Les haches, les épées et leur ceinture d’armes ; les fléaux et les dagues, les lances et les écus !
    — Au dernier moment.
    — Par précaution… Comme si nous pouvions nous en servir utilement au milieu de toute cette foule qui nous exècre !
    — Ensuite ? demanda Wilf dont l’exaspération augmentait.
    — Porte-nous aussi des clous assez petits pour ajuster ces armures desquelles moult rivets se sont enfuis… et, bien sûr, un marteau.
    Guillaume mentait ; il avait son idée.
    — Ensuite ?
    — De la graisse, du suif, voire de l’axonge [252] . Je te laisse le choix, compère ! Il importe que nous assouplissions ces vieux cuirs, sans quoi, ils se briseraient à notre détriment. J’aurais aimé un pied de fer, mais c’est trop d’exigence.
    — Est-ce tout ?
    — C’est tout, Wilf de mon cœur, dit Guillaume, admirable de sérénité. Hâte-toi et sache que nous ne sortirons pas d’ici avant d’avoir obtenu ce que je te demande… humblement !
    Quand Wilf s’en fut allé suivi de l’homme d’armes, Ogier demanda :
    — Pourquoi ce marteau et ces clous ?
    Guillaume, de l’index, désigna les Anglais :
    — Regarde-les comme ils glissent et pataugent ! Ils sont près de tomber sans avoir pris un coup !… Il faut nous bréher [253] pour éviter de choir.
    Le regard du vétéran alternativement fixé sur le dos de l’un et de l’autre, comme s’il allait les percer d’un poignard ou d’un trait d’arbalète, passa de la fureur à la gaieté :
    — L’hiver quand nous voulions, par les chemins gelés, aller de Rechignac à Savignac ou Excideuil, que faisions-nous ?… Eh bien, nous ferrions les chevaux à glace ainsi que les patins [254] de nos heuses. Quelques clous sous nos semelles auront pour avantage de nous éviter des chutes mortelles.
    C’était bien pensé. Il pleuvait toujours. La foule se riait des cinglons de l’averse : les hommes avaient enfoncé leur chaperon jusqu’aux sourcils ; les femmes avaient coiffé leur gorgière [255] . La plupart, pour se réchauffer, buvaient sans soif. Dans le ciel envahi de gros nuages gras, Tom tournoyait, les ailes largement éployées.
    Où donc Shirton s’était-il caché ?
     
    *
     
    Wilf leur porta une boîte de clous tout aussi mêlés que les harnois de fer, et un marteau d’armes.
    — Je les ai dénichés, messires, sous l’échafaud des juges. Vous trouverez bien une grosse pierre pour faire office d’enclume.
    — Tu es bon, Wilf, déclara Guillaume. Dommage que tu sois notre ennemi.
    — L’on m’a toujours enseigné, messire, qu’il fallait, quand on le pouvait, exaucer les dernières volontés des

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