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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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charretier devait bien tenter de cartayer dans la terre et la pierraille pour éviter à la voiture des soubresauts déplaisants : il y voyait à peine. Les étoiles s’étaient éteintes ; la lune ronde et blême n’éclairait rien. L’aurore emmitouflée de brouillard et de nuit semblait hésiter à paraître.
    — Nous aurions dû nous munir de quelques torches de poing, dit Odile. Il serait dans un bel état si nous versions dans un fossé !
    La jouvencelle se pencha. Un sourire éclaira son visage :
    — Je vois des lueurs dans vos yeux, messire… Je vous croyais endormi. Ce voyage devient désagréable sur ce chemin percé d’ornières, mais il paraît que nous en trouverons un meilleur à partir de Faversham… car nous avons traversé depuis longtemps Canterbury… Souffrez-vous davantage ?
    — À peine.
    — Nous ferons halte à Faversham. Il y a un relais, m’a dit Peter, notre conduiseur. Nous changerons encore de chevaux… Nous vous descendrons un peu, le temps de gonfler votre chaff [48] . Puis nous repartirons vers Rochester.
    « Pourquoi rouler ainsi à fond de train ? Est-elle pressée de se débarrasser de moi ?… Qui veut-elle rejoindre si promptement ? Un amant ? Qu’elle ne soit ni mariée ni fiancée ne signifie pas qu’elle ait fait vœu de chasteté !… Je serai bientôt seul… Malheur à l’homme seul ! »
    Il eût dû se guérir de pareilles pensées. Par quel remède ? Il n’était rien d’autre qu’une espèce d’infirme qu’Odile abandonnerait sans regret à l’épouse de Gauthier de Masny. De quels commentaires le chevalier anglais complétait-il le récit d’une capture dont il n’avait aucun mérite ? Quelles recommandations formulait-il à sa compagne délaissée comme toutes les femmes de chevaliers ? Comment était cette dame ? Quel visage ? Quel âge ? Quel caractère ? Vivait-elle au cœur de Londres ou dans un des for-bourgs de la cité ? Les Masny devaient bien posséder un château d’où s’évader serait chose faisable.
    — Sur une autre nef, messire Ogier, nous eussions contourné par mer le comté de Kent. L’ Édouarde ne pouvait aller plus avant que Sandwich, qui est son port habituel…
    À quoi bon paroler ! D’ailleurs, il souffrait trop. Blandine se fût certainement réjouie de le voir en cet état. Elle devait porter son deuil avec une dignité de martyre, tout en songeant : « À quoi lui a servi son courage ? Sa force et son respect du devoir ? » La réponse était simple ; elle devait la dodiner en elle tout autant qu’elle dodinait leur enfant : « À se faire occire. À m’abandonner avec notre petit dans une famille sans complaisance, parmi des serviteurs qui me détestent. » Elle se méprenait : elle provoquait seulement la compassion. Même le vieux Godefroy d’Argouges devait la plaindre d’un cœur sincère.
    « Si je pouvais rencontrer Hugh Calveley, je lui confierais une lettre pour elle… Pour tous ! »
    Conjecturer pareil événement ne fit qu’empirer son mésaise. Il eût pu demander ce service à Tancrède. Il y avait brièvement songé, puis renoncé : elle ne s’en fût point acquittée par crainte de se compromettre.
    L’air sentait le varech et le sel. Il pouvait entrevoir des landes mamelonnées, parsemées d’arbres chauves dont les ramures déchiquetaient les clartés de la mer toute proche. Il devait y avoir là, comme à Blainville et Agon, des ajoncs, des genêts et des cristes marines ; et des chardons Roland à foison. Nulle grosse éminence ainsi qu’en Normandie. Un pays plat, rudoyé aux vents.
    — Je crois que notre roi vous veut du bien, messire. Vous l’avez, paraît-il, rencontré plusieurs fois… Il est rude, astucieux. Savez-vous qu’à dix-neuf ans, il s’est rendu en France quasiment seul, habillé en manant, pour rencontrer Philippe [49]  ?
    Elle admirait son roi sans ferveur excessive.
    — Si votre suzerain me voulait tant de bien, il m’eût fait demeurer à Calais.
    Le ciel perdait ses dernières noirceurs, mais la brume persistait. Une descente brève aida le limonier dans son effort et Ogier ressentit durement les heurts des jantes ferrées roulant dans de profonds nids-de-poule. Un tunnel de verdure absorba la carriole. L’homme d’armes qui trottait en tête s’écria :
    — Des lumières, damoiselle. C’est Faversham !
    Quelques masures noires alignées sur deux rangs ; des arbres chevelus : chênes et peupliers. Un

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