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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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d’Odile.
    — Il n’a pas froid, vous dis-je, damoiselle. Rien de tel que l’homespun. Si vous l’ignorez, c’est une étoffe grossière, certes, faite par les tisserands à domicile… Une espèce de toile à sac dont se vêt le commun…
    — Même certains riches… Il advient que mon père s’en fasse des pourpoints… Il oublie que cette toile est en provenance d’Écosse.
    « J’ai froid », se dit Ogier. « Froid et peur. »
    Les coups de maillet de son cœur ébranlaient sa poitrine. Il se refusait à les sentir mais la violence de cette angoisse inattendue, la vivacité de ses regrets, la colère d’être rendu le dominaient. Oh ! certes, il pouvait se dire une fois encore : « Je suis vivant. » Cette naïveté ne le consolait plus.
    Le limonier se mit au pas pour gravir une pente. Des oiseaux chantaient dans les arbres. Plus de pluie : le soleil chauffait l’homespun. « Laisse-toi porter. Moins tu feras de mouvements, mieux tu recouvreras la santé. » Il allait pénétrer dans Londres. Il eût bien ri, en quittant Gratot, si quelque nigromancien lui avait prédit qu’il traverserait cette cité en charrette !
    La curiosité domina la raison : il rejeta la banne qui l’avait protégé pour s’asseoir le dos à la caisse, le crâne affleurant le bord de la banquette, de sorte que parfois, sans qu’il l’eût voulu, sa tête remuait sur l’une ou l’autre fesse d’Odile – qui ne s’effaçait pas.
    Le chemin s’élargit, les maisons s’attroupèrent, droites ou épaissies d’encorbellements, certaines flanquées de tourelles chapeautées d’éteignoirs ténébreux. Peter dut louvoyer entre des chariots, des haquets, des fardiers chargés de pierres taillées, des triqueballes soutenant des poutres équarries, des litières précédées d’un coureur levant une vergette, et qui hurlait qu’on fît place à quelque grande dame.
    Il fallut s’arrêter à proximité d’une haute muraille.
    — Les conduiseurs des chars et charrettes qui apportent des marchandises à Londres, dit Odile, sont frappés d’une taxation aux portes de la cité. Nous voilà pris dans le courant sans espoir de nous en sortir.
    Ogier se souleva. Il y avait des charrettes à deux ou quatre roues, certaines pourvues de prélarts arrondis comme des tunnels ; des fardiers tirés par trois ou quatre chevaux attelés à la file ; des basternes entre les brancards desquelles des mules s’impatientaient.
    — Avant de partir pour Calais, dit Odile, notre roi a versé une fortune à sa sœur, lady Eleanor, pour obtenir son char [54] . Il eût pu, avec cela, acquérir un troupeau de bœufs. C’est du moins ce que dit mon père.
    — De la folie ! enragea Peter.
    — Moins que celle qu’il commit ensuite en achetant à Isabelle de Lancaster, la nonne d’Aumbresbury, un livre de romans tout plein d’enluminures !
    Ogier observait, le front contre la ridelle. Comme en France, il y avait dans la cohue des marchands de drogues, des ménestrels, des bouffons et jongleurs. On parlait haut ; parfois une querelle éclatait. Des sergents coiffés du chapel de Montauban menaçaient les hutins de leur guisarme.
    Un homme passa, barbu, la mine conquérante. Un bourgeois aisé, assurément. Odile commenta, dès qu’il se fut éloigné :
    — Barbe longue, anneaux à chaque doigt… Vous ne le pouvez voir tout entier, mais il a des bottines rouges, quadrillées en couleur et, à sa hanche, un long couteau presque aussi long qu’une épée.
    — Qui est-ce ? Un prévôt ? Un bailli ? Un sheriff, comme vous dites ?
    — Nenni, messire. Tout simplement un moine, un frère frappart en quête de bonne fortune. Celui-là n’ira jamais en pèlerinage à Notre-Dame de Wilsingham ou à Saint-Thomas de Cantorbery !
    Un sergent grimpa sur une roue et se pencha à l’intérieur du bérot.
    — Que t’importe qui j’emmène ! dit Odile, farouche. Voilà ma licence… mon sauf-conduit. Aide-nous à poursuivre ou donne-moi ton nom !
    L’on repartit. Une procession de mules bâtées, surveillées par des picquenaires, se rompit pour céder le passage : le sergent, de son poing, en avait menacé le meneur.
    Ogier trouva la cité plus animée que Paris. Plus puante. Un pilori attira son attention. Quatre hommes y étaient exposés : quatre têtes blêmes, gonflées par des coups ; quatre excroissances humaines surgies de la même planche. Tout près, lié sur une échelle, un homme nu pendait,

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