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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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poing ganté de fer réveilla l’aubergiste. Le bonhomme et sa femme, résignés et dolents, poussèrent leurs contrevents et allumèrent des candélabres. On accrocha les rênes aux anneaux de la mareschaucie [50] jouxtant l’hôtellerie. Tout cela sans un mot, comme si troubler cet ultime lambeau de nuit eût été commettre un sacrilège.
    Ogier se pencha. Ces maisons basses, noires, ces bruits de pas et de sabots ferrés ; ces fenêtres dorées aux lueurs des chandelles ; cette lividité des visages penchés au-dessus de lui semblaient composer la trame d’un mauvais rêve. Le hôlement d’une hulotte ou d’une effraie ne fit qu’aggraver cette impression de perdition.
    Deux sergents le tirèrent lentement par les chevilles, et quand ses jambes, des genoux aux orteils, pendirent dans le vide, le plus robuste le ceintura et le mit debout.
    — Si vous voulez pisser, tenez-vous à cet arbre. Pour le reste, il y a, là-bas, un banc à claire-voie.
    Il fut seul, puis les sergents revinrent l’empoigner pour le mener à l’auberge. « Dire que je songe à m’enfuir !… Je suis faible comme un vieillard ! » L’âtre rougeoyait ; une soupe y fumait dans un chaudron de cuivre.
    — Asseyez-vous devant moi, dit Odile. Avez-vous quelque appétit, messire Ogier ?
    La jouvencelle tint à ce qu’il fut servi avant elle. Il reçut dans son écuelle deux louchées d’un brouet onctueux fleurant le poireau et le cresson.
    — N’avez-vous pas trop souffert de vos blessures ?
    Odile, la bouche arrondie pour souffler sur sa cuiller, le regard diapré d’une sorte d’ardeur toute neuve, s’inquiétait sincèrement.
    — Je me résigne à tout, damoiselle. J’ai craint pour votre vie, à Sandwich.
    — Et moi, messire, j’ai craint pour la vôtre.
    Les quatre sergents s’assirent à une table voisine.
    — Ces manants n’étaient que des bêtes, et les bêtes se résignent sous le fouet !
    — Holà ! je n’en suis pas si sûr, damoiselle, dit le charretier qui revenait de l’écurie et s’asseyait sans façon auprès de la pucelle. Plus on cingle certains chiens, plus ils grognent et se regimbent.
    Ils ne parlèrent plus. Ogier sentait tous ces gens-là recrus et s’étonnait qu’Odile pût encore leur fournir une image si fraîche d’elle-même. Sa robe était légèrement froissée, ses cheveux ne s’effilochaient qu’à leur extrémité. Ses paupières, à peine gonflées, clignotaient : elle résisterait au sommeil autant qu’il le faudrait, quitte à dormir ensuite plusieurs jours et plusieurs nuits d’affilée. Elle se fit apporter du pain, du saucisson, deux gros pichets, l’un de vin, l’autre de cidre, et procéda à un partage qui la lésait.
    — Nos chevaux sont changés, dit le charretier entre deux bouchées.
    — Tous ?
    — Tous, damoiselle. Je prie Dieu que le reste du chemin nous soit aisé.
    — De quoi avez-vous peur, Peter ? s’étonna Odile en reposant le gobelet de cidre qu’elle venait de vider d’un trait.
    Puis, sans attendre une réponse et tournée vers Ogier :
    — Nous irons bientôt plus vivement car nous roulerons sur des chemins meilleurs. Seigneurs, manants, et rustiques ont à charge leur entretien [51] et celui des ponts.
    Plus les cités sont nombreuses et rapprochées, plus les routes sont bonnes. Nous n’aurons même pas à acquitter, avant la traversée des rivières, le brudtholl [52] qui nous retarderait. Le sauf-conduit que je possède nous en dispense.
    — Seuls les clercs, dit Peter, échappent à cette obligation d’acquitter toujours et toujours des droits de toute sorte. Mais, damoiselle, après ce que nous avons subi à Sandwich, ce que je crains, c’est d’être arrêté par quelque bande de wastours, Roberdesmen, drawlatches [53] . Plus les cités sont grosses et plus ils sont nombreux !
    — Nous sommes là ! dit de loin un sergent. Il ferait beau voir que des outlaws nous menacent !
    À Sandwich, ç’avait été le moins hardi. La chaleur du lieu, la bonne chère et le vin grossissaient son courage. Odile feignit de n’avoir rien entendu et, tournée vers Ogier :
    — Moult gens du peuple n’ont d’autre occupation que d’errer sur les chemins pour y occire et détrousser les passants. Je crains, moi, ces outlaws et davantage encore leurs femelles : les weyves. On les dit terribles et dépourvues de cœur. Mais il est temps de partir… Allons, debout vous autres. Prenez soin de ce chevalier.
    Sans

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