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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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faim…
    L’archer cracha sous le coup d’une fureur resurgie. Il avait un visage rond, sanguin ; des yeux pareils à ceux des cerfs qu’il avait poursuivis : grands, ténébreux, étirés comme des feuilles d’amandier.
    — Les chiens ont retrouvé la bête. Un dix cors… Toute une matinée à marcher, marcher, puis à courir comme un footman  !… Et puis, au passage d’une rivière, plus rien… Envolé, le cerf…
    — Ensuite ?
    — Au retour, Arthur m’a dit d’égorger tous ces bons à rien !… Oui !… Trente chiens, de hardis et beaux chiens… Si je refusais, il me ferait pendre… Et il se trouvait, dans les murs, certains gars qui m’auraient bien vu pendu !
    — Après ?
    — J’ai fui avec Galswinthe, mon épouse. Ils nous ont rejoints. Il y avait Arthur et trois autres… Ils m’ont lié à un arbre et fait à ma femme ce que tu devines, Arthur le premier… Puis ils s’en sont allés. Il gelait à pierre fendre et je n’ai pu me dégager qu’à la nuit… Ils avaient tellement abusé de Galswinthe qu’elle en était morte… Je me suis juré de ne point quitter ces terres et de la venger… Je tirais bien à l’arc, je me suis appliqué à tirer mieux. Mon nom est Jack Shirton mais à Winslow, déjà, on m’appelait Aster.
    — Aster ?
    — Notre chapelain, qui est mort de vieillesse, m’a surnommé ainsi après m’avoir vu tirer lors du prologue des joutes de Hatfïeld… Selon lui, Robin Hood n’aurait pas fait mieux que moi. Aster… Sais-tu qui c’est ou plutôt qui c’était ?
    — Non.
    Ils allaient sans hâte et sans crainte, et le cheval semblait heureux de piéter lentement. Les feuillages profonds rendaient la forêt blême, et l’on eût dit que ces gros arbres manquaient de sève. Sans qu’il fît nuit, tout paraissait ombreux, somnolent. Parfois, le soleil lançait à travers la ramée un de ses glaives acérés, mais sa lueur n’éclairait rien.
    — Comme toi, dit Shirton, j’ignorais tout d’Aster avant que frère Woodruf m’en parle.
    Il hochait la tête avec l’indulgence d’un philosophe qui, depuis longtemps, sait à quoi s’en tenir sur toutes les carences humaines.
    — Eh bien, Aster d’Amphipolis était un archer sans égal. Tout fier de ses prouesses, il alla offrir ses services à Philippe de Macédoine et se vanta, devant lui et ses capitaines, de percer les oiseaux les plus prompts en vol. Philippe refusa de le croire et ne lui demanda même pas de prouver son habileté. Il promit en riant : « Je t’emploierai quand je chasserai l’étourneau. » De rage, Aster passa à l’ennemi lorsque Philippe assiégea Méthone. Il décocha contre lui une sagette sur le bois de laquelle il avait écrit  : « À l’œil dextre de Philippe. » Il n’avait nullement exagéré son adresse : Philippe devint borgne de cet œil-là.
    — Je suppose qu’il ne le prit pas à son service !
    — Non. Il fit renvoyer la flèche dans les murs après y avoir fait écrire : « Si Philippe prend la ville, Aster sera pendu. » Et, bien sûr, il en fut ainsi.
    Aster II, comme l’archer se plut à le dire, caressa l’encolure du Noiraud.
    — Tu vois, là-bas, cette rivière ? Nous allons la traverser. Elle n’a pas de nom et se jette dans une autre qu’on appelle l’Ouse… Encore une demi-lieue et tu seras chez moi, dans ma caverne… Car je vis comme un ours, tu verras !
    — À tout prendre et sans l’avoir vue, je préfère ta caverne aux murailles de Winslow !
     
    *
     
    Au fur et à mesure de sa descente vers les profondeurs de la forêt, la rivière s’étrécissait ; ses eaux, acharnées à se frayer un passage dans la roche et la terre, grondaient et chuintaient tout en s’assombrissant sous l’épaisse feuillée. La voie que Shirton empruntait montait sans jamais s’éloigner du cours de cette vouivre dont, parfois, quelques écailles scintillaient. Des oiseaux s’interpellaient d’une rive à l’autre, puis laissaient le silence au chuchotis des arbres.
    — Mon domaine, disait parfois Shirton avec un éloquent mouvement des bras.
    Comme ils atteignaient une éminence clairsemée, un rapace vint tournoyer au-dessus d’eux dans un ample et lent mouvement d’ailes.
    — On appelle cette sorte de faucon un balbuzard, un busard chauve, dit Shirton. Pour moi, en vérité, c’est Tom. Il avait une aile cassée quand je l’ai trouvé. Une flèche ou une pierre… peut-être une querelle entre deux

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