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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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père était pétauriste… Ogier m’a enseigné le nom.
    — Pétauriste ! C’est quelqu’un qui fait des pets !
    — C’est ainsi, Élisabeth, que j’ai ouï-parler de ces bateleurs par une femme du nom d’Hérodiade. Il paraît que ce mot est dérivé du grec.
    — Où vous a-t-elle instruit ? Sur une corde ou un lit de délices ?
    — Au logement [109] des joutes de Chauvigny. Nul besoin d’entrer dans un lit pour s’instruire sur quoi que ce soit.
    Ogier se tourna autant qu’il le pouvait pour dévisager Griselda :
    — Tu n’es pas obligée de mettre ta vie en péril…
    — Pour me parler ainsi, il faut bien que tu m’aimes.
    Quand elle le regardait comme maintenant, d’un air pensif, ce n’était ni d’amour ni d’admiration qu’il se sentait l’objet, mais d’une vénération qui, plutôt que de la fierté, instillait dans son sang un malaise dont il ignorait le remède.
    — Ma mère était une bateleuse, dit-elle de sa petite voix lente, sensuelle. Elle est morte d’une fièvre, sans qu’un mire se soit penché à son chevet… C’était il y a trois ans, à Londres… Elle avait commencé à m’apprendre à danser sur la corde. Mon père qui, comme Élisabeth, récoltait les recettes, m’a forcée à continuer… Un jour qu’il était saoul comme une grive, il est entré dans la taverne de Ferris avec moi… Il a joué aux dés contre ce malandrin et comme il ne pouvait continuer la partie, eh bien, il m’a donnée en gage… C’était il y a deux ans. Je ne l’ai plus revu.
    — Tant mieux, dit Ogier.
    — Je l’aurais meurtri… À Brackley, j’avais un dirk [110] sous ma paillasse.
    — Et moult braquemarts au-dessus.
    Élisabeth, évidemment, se regimbait d’avoir été moquée au passage. Ogier sentit la nécessité d’un compliment :
    — Vêtue d’une robe dorée, Griselda, tu semblerais une étoile.
    — On voit mon cul… Je vais mettre un blanchet [111] .
    — Non ! s’indigna Shirton, approuvé par Élisabeth. C’est ce qui fait aussi l’agrément de ta danse… Pendant que la bonne gent lève le front, Élisabeth grossit la recette.
    — Tu peux refuser, Griselda.
    — J’en conserve, Ogier, l’intention. Je ne le ferai plus lorsque nous serons riches.
    — Comment pourrions-nous l’être ?
    Pour la première fois, elle lui lança un regard où le dépit s’ennuageait de tristesse. Shirton crut opportun d’intervenir :
    — Si Calveley est absent, il nous faudra une pleine escarcelle pour nous rendre à Ashby et l’attendre avant les joutes… Nous devrons y manger, dormir…
    Le visage de l’archer perdit un peu de sa dureté :
    — Il me faut acquérir de nouvelles sagettes. Une bonne gerbe ! J’en ai rompu douze en les tirant des planches et quatre ont perdu leur fer. Quand nous nous sommes exercisés, hier matin, il nous en manquait deux…
    — Je les ai d’autant plus cherchées que c’étaient les miennes.
    Ils se turent : en eux montait une acerbité qu’ils réprouvaient l’un et l’autre, peut-être inégalement.
    — Repartons, dit Shirton.
    Des bras moins possessifs ceinturèrent Ogier.
    — Si ce Calveley nous fait défaut, dit Griselda, tu vas en être affligé.
    — Tu dis vrai.
    — Ce soir, je te consolerai.
    Il sentit les petites mains qui formaient, sur son ventre, une boucle mouvante, se chercher un ardillon.
    — Je sais que tu n’es pas en peine de remèdes agréables, mais crois-moi, Griselda, je ne serai pas malade de déception.
    Il les imaginait, ces remèdes, ainsi que toutes les espèces d’hommes auxquels elle les avait administrés. Remèdes de bonne femme, en vérité ! Il eût voulu pouvoir, d’un hurlement, repousser toutes ces images.
    — Tu ne ressembles pas aux autres hommes.
    — Ressembles-tu aux filles de ton âge ?
    — Je n’ai pas eu le temps d’en connaître. Mais ce que je sais, Ogier, c’est que j’ai en toi un protecteur, nullement un… Comment dis-tu, déjà ?
    — Un maquereau.
    Elle rit tandis qu’il songeait à Adelis. Comme cela semblait loin ! Elle avait connu le même sort que Griselda dont elle était l’aînée de dix ans. Non pas plus hardie, mais plus solide et apte à se défendre. Il ne s’était jamais tourmenté pour ses aventures. Mais Griselda !… Cette violation effrénée de la jeunesse prime et de l’ordre de la nature constituait pour lui une offense à Dieu aussi abominable que les forfaits qui avaient provoqué la

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