Le jour des reines
her !
— Il n’aurait jamais dû l’enlever, dit Griselda. Et moi qui croyais que cette gueuse m’aimait un tantinet !
— Are you jealous of her ?
— Il lui demande si elle est jalouse de moi… Bien sûr qu’elle l’est ! Elle voudrait que tu l’enfourches… Elle ne pense qu’à ça.
— Oh no ! She is a child !
— Elle prétend qu’elle n’est pas jalouse et que je suis une enfant… Une enfant, ma belle, qui sait mieux que toi faire plaisir aux hommes !
— Griselda ! murmura Ogier. Oublie ce que tu fus !
Shirton avait cessé de parler à voix basse. Il se fâchait :
— Let the time and events do.
— Il lui commande de laisser faire le temps et les événements.
— Voilà, dit Ogier, qui est d’un homme sage… Non, Griselda, point d’autre mouvement vers moi.
Leurs têtes qui n’avaient jamais cessé de se toucher se séparèrent.
— Tu ne m’aimes pas ?
— Si, je t’aime bien.
Il la consternait et devina qu’elle pleurait au tressaillement de l’épaule appuyée à la sienne. Se sentant tout à coup affreusement coupable, il enveloppa de son bras la fillette. Ce geste avait exigé de lui un effort immense. Penché, il baisa Griselda sur la tempe, là où une petite veine battait. Elle avait une peau soyeuse et les frisons qui chatouillaient sa bouche ne pouvaient que lui en rappeler d’autres. Il entrait de la vergogne et de la rage dans toutes les pensées qui noyaient son esprit. Pour conjurer ces démons des ténèbres, il raviva le souvenir d’une autre malheureuse, assagie et repue des simulacres d’amour : Adelis à la beauté troublante.
— Je t’aime bien… Je ne cesse de te dire que je pourrais être ton père.
— Si tu crois qu’il s’est retenu !… C’est lui qui m’a dépucelée.
C’était dit violemment, aussi violemment que la chose, sans doute, s’était produite. Ogier en resta pantois. Aucune initiative heureuse ne lui montait des entrailles à l’esprit.
— À quoi penses-tu ? dit Griselda d’une voix inquiète, chuchotée.
— Nous sommes des monstres. Tous des monstres de bonne et engageante apparence.
— Alors, engage-toi.
Cette suggestion, la fillette l’accompagnait d’un geste impudique.
— Non, dit-il. Non… Je t’aime bien. Veux-tu que je te déteste ?
IV
Le soleil disparut ; le ciel répandit des ondées sans cesse plus rapprochées. Il y eut des journées entières aspergées d’une eau froide, tantôt poudre, tantôt grêle. Des vents ivres la fouettaient.
Dans les bourgs, de maigres attroupements se formaient sous les halles pour admirer les danses de Griselda sur sa nouvelle corde et assister aux prouesses de l’incomparable Aster. Shirton décochait douze sagettes autour de la fillette adossée à des planches vermoulues et, pour prouver son aptitude au maniement du long bow , Ogier fracassait d’un matras – cette flèche à tête cylindrique – quelque ustensile de terre exhumé d’un tas d’ordures. Tom, pendant ce temps-là, volait de l’un à l’autre, sauf vers Élisabeth qui, chaperon tendu, en appelait à la générosité du public.
Les vivats étaient rares, les piécettes aussi. L’assistance était trop clairsemée pour que Griselda fut tentée de couper une ou deux escarcelles : on eût deviné d’où venait le larcin. Elle préférait jouer au franc-mitou sur le parvis des églises quand d’autres mendiants, faux estropiés comme elle, le désertaient. Le soir venu, il fallait rebrousser chemin pour se réfugier dans un gîte remarqué au préalable, réunir la paille, les branchettes et, frileusement assis autour d’un feu maigre, avaler quelques bouchées de viande tirée des braises avec le picot du poignard en se félicitant d’avoir côtoyé quelques hommes d’armes débonnaires et peu curieux.
— Jamais, affirmait Shirton, nous ne serons réduits à la mendicité. Nous sommes pauvres ? Si tout s’y passe bien, Ashby nous fera riches.
Ogier déplorait cette assurance.
Tom allait à la pêche et ne rapportait rien : les rivières, les ruisseaux et les étangs, grossis par les averses, préservaient les poissons dans leurs replis fangeux. Pleuvait-il dru ? De lui-même il entrait dans sa cage, œuvre de Griselda. Shirton suspendait à l’arçon de sa selle cette prison d’osier dont le toit en poivrière était couvert de quelques morceaux de parchemin huilé. Dès qu’une éclaircie commençait, le balbuzard criait pour
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