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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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qu’on le délivrât. Négligeant ostensiblement l’archer, il allait s’ébrouer sur l’épaule d’Ogier à moins qu’il ne prît le poing de Griselda pour juchoir. En effet, la fillette avait découvert sur un tas d’immondices le gantelet de cuir d’un fauconnier. Bien que troué en maints endroits par les ongles des rapaces, elle l’avait nettoyé avant d’en réparer les dommages. Elle l’arborait comme un joyau.
    À la demande d’Élisabeth qui se plaignait de maux de reins, Shirton interrompait quelquefois, par une halte de deux jours, la lente chevauchée vers Ashby-de-la-Zouche. « On a tout notre temps », prétendait-il. Le lieu qu’il choisissait, éloigné des chemins, devait non seulement convenir au repos ; il fallait qu’il permît dans sa proximité les exercices d’archerie sans lesquels son humeur sécrétait de la bile. Lors de ces fastidieux arrêts, Ogier mesurait mieux qu’en toute autre occasion les distances, les heures et les sombres contours de sa mélancolie. Quand bien même il voulût lui trouver des délices, sa fausse liberté révélait ses limites, ses contraintes, ses incertitudes et les périls imprécis susceptibles d’y mettre un terme. Étrange sensation que celle de se sentir seul en bonne compagnie. Pitoyable anxiété que celle de se savoir reclus, peut-être indéfiniment, dans ce pays d’arbres identiques à ceux de la Normandie, et dont les troncs serrés par l’infini brumeux semblaient les barreaux d’une geôle. Tout lui manquait. Blandine, certes ; Thierry, Aude, le vieux Godefroy, son père ; les serviteurs et les soudoyers, Marchegai son cheval et Saladin son chien. Relevait-il sa tête appesantie de pluie et de visions pathétiques, souvent inattendues, que Griselda percevait son émoi. Elle l’interrogeait sans qu’il lui répondît, trop absorbé à dévider ce long écheveau d’images corrosives.
    Songeait-il que Tancrède et son oncle Guillaume – s’il vivait encore – foulaient la même terre et respiraient le même air que lui ? Son malaise s’aggravait. Il en ignorait l’antidote. Quelque froides et fugaces qu’eussent été leurs retrouvailles, il n’était pas certain d’en avoir terminé avec Tancrède. Il advenait qu’il souhaitât la rencontrer aux fêtes d’Ashby, quand bien même elle l’y trouverait en cet état de misérableté dont, présentement, il ne souffrait guère mais qui, après l’avoir ébahie, susciterait dans ses propos, son regard, son sourire, plus de gausserie que de compassion.
    « Un fugitif comme moi doit réprimer toute vergogne. Qu’importe le degré de mon abaissement si je recouvre un jour mon honneur et mon rang. »
    Comment, par quel miracle y parviendrait-il ?
    Il craignait que la présence des grands, leur jactance, leurs parures et, surtout, le fait qu’ils courussent des lances devant lui sans qu’il en pût tenir une seule, n’eussent sur son comportement une influence pernicieuse. Passé la circonspection des premiers instants, ne suffirait-il pas d’un incident bénin pour que sa dignité soudain réapparue le rendît à lui-même et lui devînt funeste ?
    Les ailes déployées, tel un petit archange, Tom planait dans le ciel envahi de nuages lourds. Un vent impétueux retroussait les robes des yeuses et courbait les cimiers des hêtres et des ormes apostés de loin en loin sur l’infini de la lande. Les visages des compagnons d’Ogier demeuraient, depuis cinq jours, aussi mornes que le temps. Griselda n’osait trop réprouver leur réserve.
    Que dire ? Rien. Il fallait avancer vers Ashby au pas quelquefois trébuchant des chevaux, oublier ce que seraient la morosité de la halte du soir et la froideur de la nuit. « Une masure », disait Griselda. On regardait. La bâtisse était grise, sans nul indice de vie. Mais elle était debout tandis qu’au royaume de France, lorsque les Goddons les avaient épargnées, les maisons isolées hurlaient à la mort par toutes leurs bouches ouvertes.
    Personne auprès de qui demander son chemin. L’on devait se fier à la bonne chance. Elle disposait parfois – révélée par sa perche et sa touffe de feuilles – une taverne à un carrefour. Pour s’y informer tout en achetant de quoi boire et manger, Shirton pénétrait seul dans ce coupe-gorge tandis qu’Ogier veillait à la porte. L’archer en ressortait toujours vélocement tandis qu’un aboiement accompagnait sa retraite. Ashby, c’était tout droit. On

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