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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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cela.
    — Soit.
    — Tu ne l’as jamais vu de près. On s’est toujours servi du tien. Approche.
    Ogier obéit. En chantonnant et sautillant, Griselda s’éloigna.
    — Que vois-tu de prime abord ?
    — Qu’à la différence du mien, ton arc n’a pas de poignée de cuir ni de quoi que ce soit, par exemple une cordelette enroulée tout autour.
    — Et encore ?
    Ogier se pencha :
    — Qu’en son mitan – que devrait recouvrir la poignée –, il y a deux coches de l’épaisseur d’une sagette.
    — Voilà !… Quand je veux faire un coup pareil, je ne tiens pas mon arc par le milieu comme à l’accoutumée. Mon bras et mon poignet, surtout, compensent cette inégalité entre les deux longueurs du bois, car mes coches sont en son axe, espacées de la largeur d’un pouce : le mien… Que penses-tu d’elles ?
    Ogier passa un doigt sur les évidements.
    — Je les vois pour la première fois. Ta main me les cachait quand tu portais ton arc aussi nu que maintenant.
    — Elles n’affaiblissent pas l’if. D’ailleurs, quoiqu’il soit parfait, robuste en son centre, je me suis refusé à creuser davantage… Et si tu examines ces gorges de plus près, que vois-tu ?
    — Elles sont évidées soigneusement de biais… fort peu… afin qu’une fois en l’air, les sagettes ne s’écartent pas.
    — Vrai !… Quand je tends la corde, je les ai toutes deux solides entre le pouce et l’index… qui n’ont jamais failli… J’ai des mains de bûcheron, à l’inverse de toi. Tu ne saurais tenir à la fois deux flèches par leur talon.
    Ogier acquiesça. Il avait des mains fortes. Elles serraient parfaitement la lance, l’épée, le marteau d’armes. Auprès de celles de Shirton, elles semblaient pourtant efféminées. Il se demanda si l’Anglais serait capable de soutenir longtemps et à son avantage un combat tel que ceux qu’il avait disputés. Mais qu’allait-il encore ramener devant lui ce qui était définitivement derrière ! L’arc et les armes nobles ne se pouvaient comparer. Leurs vertus différaient autant que l’art de s’en servir.
    Shirton sourit :
    — À chacun ses mérites, pas vrai ?… Regarde… Pour réussir l’appertise [117] dont tu vas être témoin, il faut également disposer de cela.
    L’archer fit tressauter sur sa paume deux flèches empennées de fines ailettes de cuir montées en vrille.
    — J’en ai six seulement. Elles sont les joyaux de mon carquois.
    Les dents d’Aster ressuscité brillaient dans une bouche prête à mordre.
    — Pour le reste, il suffit de savoir bornoyer [118] .
    Après avoir trouvé sa prise à la gauche des évidements, Shirton mit son long bow à l’horizontale. Il encocha soigneusement ses flèches qui, d’elles-mêmes, semblait-il, se déposèrent dans leur gorge. Il faisait corps avec son arc. Il en était la force et l’orgueil, l’œil et l’intelligence. Il le banda lentement, fermement, la tête un peu penchée, les lèvres serrées comme s’il s’apprêtait à mugir puis, les sourcils rapprochés par l’effort d’attention, il défia la cible tout en évaluant l’énergie qu’il devrait déployer pour l’atteindre. Une veine frémissait sur sa tempe. Ses pieds semblaient enracinés dans le sol.
    — Hop !
    Un cri : rage et plaisir. Double jaillissement. Les empennes frottées à l’air sifflèrent. Les fers s’enfoncèrent ensemble dans les trous de la vue. Le heaume en vibrant perdit un peu de terre. On eût dit un sang roux qui s’en extravasait.
    — Merdaille ! Pour un tel coup Godefroy de Bouillon t’aurait anobli !
    — À toi !… Je ne vais pas retirer mes sagettes. Elles ne te gênent pas.
    Ogier saisit son arc, encocha une flèche. Il tremblait, doutant soudain de maîtriser l’habileté que l’Anglais lui avait patiemment inculquée.
    — Domine tes nerfs, compère ! Ta tête se réduit à ton œil dextre.
    Il ne devait pas décevoir Shirton. La justesse de son tir dépendait de la simplicité de sa vision et de la vivacité avec laquelle il banderait l’if.
    Il voyait nettement l’arrosoir immobile et les empennes de cuir qui en occultaient les creux. Il se sentait les paupières lourdes. Ses épaules semblaient rouillées ; ses pieds cherchaient en vain une base solide… et pourtant il devait agir promptement…
    La flèche sur le poing affermi qui chauffe le manchon de cuir ; le dard luisant : cœur-écaille. Le bois qui se plie, toujours, toujours, et qui cède

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