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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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menue, Griselda proposa qu’on le mît en cage. Shirton se recueillit puis, avec un ton de sourde rancune, comme s’il lui reprochait d’avoir usurpé son idée :
    — Non, Griselda. Il vole haut parce qu’il a flairé le danger.
    — Comme nous, interrompit la fillette.
    — Dès ce soir, nous l’enfermerons.
    — C’est ton oiseau, dit Ogier, mais nous l’aimons tous. Pas vrai ?
    Élisabeth n’avait point d’opinion. Quand l’envie la prenait de desserrer les lèvres, c’était pour se plaindre en termes vagues et en soupirs d’un malaise qui la hantait sans fournir davantage d’éclaircissements à Shirton, soucieux, indifférent ou agacé selon son humeur, elle aussi changeante. Sans que cette union hâtivement formée fut proche de sa dissolution, Ogier la voyait et la sentait s’altérer. Même la nuit, les liens charnels qui avaient accouplé l’archer et l’ancienne Morgane semblaient se relâcher. Moins d’ardeur et, surtout, aucune récidive.
    — Ne courbe pas le dos, dit soudain Griselda. Pour moi, tu demeures un preux chevalier. J’aurais aimé te voir jouter dans une armure aussi brillante que celle du saint Georges de l’église de Brackley.
    — J’aimerais te donner ce plaisir. Il te comblerait plus qu’aucun autre.
    — Oh ! non, tu le sais bien… Pourquoi te prends-tu pour un saint ? Aimais-tu tellement ton épouse ?
    Jamais, depuis plus de deux semaines, elle ne s’était aventurée dans une allusion, même infime, à Blandine. Elle ajouta sans malice :
    — Si elle te croit mort, peut-être a-t-elle ouvert sa couche à l’un de tes compagnons.
    Il rit, mais les esquilles d’une rupture involontaire, quoique souhaitée maintes fois, perçaient sa gorge.
    — Oublie-la. Creuse-moi dans ton cœur une place.
    Ogier se sentit derechef conforté par cette affection tenace. Certaines nuits, il n’était pas dupe des reniflements de la fillette. De telles larmes, jamais Blandine n’en verserait.
    — Ta place existe dans mon cœur, plus large et profonde que tu ne crois.
    — Et si je devenais une gente personne ? Dame Grisélidis au lieu de Griselda…
    Quoique fragile encore, elle avait recouvré sa jouvence perdue et repris, malgré ses vêtements de pauvre, un aspect décent. Il lui advenait, de plus en plus fréquemment, d’avoir les gestes et les propos d’une enfant de son âge. Sa confiance en lui, Ogier, semblait plus vivace encore que son appétit d’amour. C’était un père qu’elle cherchait ; un père qui fut aimant, vertueux, attentif et chevalier si possible. Elle se méprenait sur son inclination.
    Élisabeth chevauchait à l’avant, près de Shirton en léger retrait.
    — Prenons ce chemin, dit-elle. Il conduit au village.
    — Quel jour sommes-nous, Griselda ?
    — Je te l’ai dit ce matin : mercredi 21… Et si je devenais une vraie damoiselle ? Ogier, réponds-moi !… Dis : serais-je mieux que ta Blandine ?
    Pourquoi donnait-elle tant d’importance à une femme dont elle ignorait tout, sauf le nom ?
    — Je veux un toit pour dormir, gémit Élisabeth. Plus les jours passent, plus il fait froid.
    Quelques cahutes couvertes de chaume, à l’avant du village, semblaient d’immenses taupinières. Des fumées s’échappaient du milieu de leur coiffe emplumée de grands iris tigrés. Plus loin, après d’étroits enclos où paissaient des chevaux, le chemin caillouteux devenait une rue assez droite, pavée, bordée de maisons aux toits en bardeaux, aux soubassements de briques noirâtres exhaussés de colombages. Les hourdis, entre les poutres, étaient si mal entretenus ou si vieux qu’ils se boursouflaient de scrofules et de tumeurs suintantes ; les lézardes de ces torchis avaient été bouchées avec des linges : ils avaient pris la couleur glauque de la vase et sans doute en exhalaient-ils l’odeur.
    Les échoppes, rares, étaient peintes en jaune, et cette couleur-là, souillée de salissures, prétendait à la gaieté. Les jambes pendantes sur le rebord de sa fenêtre, un tailleur, la tête couverte d’une aumusse de cuir, cousait un écusson sur un tabard de soie sinople. En face, une commère posait devant son seuil un petit poêle haut sur pattes, destiné à la cuisine du seigneur qu’elle hébergeait et dont le roncin fauve, tacheté de gris, sabotait au bout de sa longe accrochée à un anneau scellé près de la porte. Tout proche, dans sa cour, un fèvre et ses aides embattaient une roue de

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