Le Journal D'Anne Frank
1944
Chère Kitty,
Voici ce que j’ai reçu de Margot hier soir :
« Ma chère Anne,
Après ton petit mot d’hier, j’ai eu l’impression désagréable que tu éprouves des remords de conscience chaque fois que tu vas chez Peter pour travailler ou pour parler ; il n’y a vraiment pas de quoi. Dans mon cœur, quelqu’un a droit à une confiance réciproque et je ne serais pas capable de donner à Peter la place qui lui revient. Il est vrai toutefois, comme tu l’as écrit, que Peter m’apparaît comme une sorte de frère, mais… un jeune frère, et que nos sentiments lancent des antennes l’un vers l’autre pour parvenir plus tard peut-être, ou peut-être jamais, à une affection comme il en existe entre frère et sœur ; mais nous en sommes encore loin. Tu n’as donc pas lieu d’avoir pitié de moi, je t’assure. Profite tant que tu peux de la compagnie que tu viens de trouver. »
En attendant l’histoire, ici, devient de plus en plus belle, je crois, Kitty, que nous allons peut-être avoir ici à l’Annexe un vrai grand amour. Toutes ces plaisanteries sur un mariage avec Peter si nous restons encore longtemps ici n’étaient pas si bêtes, après tout. Mais je ne songe pas à me marier avec lui, tu sais, je ne sais pas comment il sera une fois adulte, je ne sais pas non plus si nous nous aimerons un jour suffisamment pour avoir envie de nous marier. Peter m’aime aussi, maintenant j’en suis sûre, mais de quelle façon m’aime-t-il, je n’en sais rien. Cherche-t-il seulement une bonne camarade, est-ce que je l’attire en tant que fille, ou bien comme sœur, je n’en ai pas encore le cœur net. Quand il m’a dit que je l’aide toujours dans les querelles entre ses parents, j’étais folle de joie et déjà en passe de croire à son amitié. Et puis hier je lui ai demandé ce qu’il ferait s’il y avait ici une douzaine d’Annes qui viendraient sans arrêt le voir, sa réponse a été : « Si elles étaient toutes comme toi, ce ne serait pas si grave, crois-moi ! » Il est super accueillant pour moi et je crois bien qu’il aime vraiment me voir venir vers lui. En attendant, il apprend le français avec beaucoup de zèle, même le soir dans son lit jusqu’à dix heures et quart.
Oh, quand je repense à samedi soir, à nos paroles, à nos voix, alors pour la première fois je suis contente de moi ; je veux dire qu’à présent je redirais la même chose au lieu de tout changer, ce qui est généralement le cas d’ordinaire. Il est si beau, aussi bien quand il sourit que quand il regarde sans rien dire devant lui, il est si gentil et bon et beau. A mon avis, ce qui l’a le plus pris au dépourvu chez moi, c’est quand il s’est rendu compte que je ne suis pas du tout l’Anne superficielle, mondaine, mais quelqu’un de tout aussi rêveur, avec tout autant de problèmes que lui !
Hier soir, après la vaisselle, je m’attendais absolument qu’il me demande de rester là-haut. Mais rien ne s’est passé ; je suis partie, il est descendu appeler Dussel pour écouter la radio, s’est attardé longtemps dans la salle de bains mais, Dussel tardant trop à venir, il est remonté. Il a tourné comme un ours en cage dans sa chambre et s’est couché très tôt. Toute la soirée, j’étais si agitée que je n’arrêtais pas d’aller à la salle de bains, me passais de l’eau froide sur le visage, lisais un peu, me remettais à rêver, regardais la pendule et attendais, attendais, attendais en l’écoutant. J’étais dans mon lit de bonne heure, mais morte de fatigue. Ce soir, je dois prendre un bain et demain ?
C’est encore si loin !
Bien à toi,
Anne M. Frank
Ma réponse :
« Chère Margot,
Le mieux, à mon avis, c’est d’attendre la suite des événements. Entre Peter et moi la décision ne pourra plus se faire attendre très longtemps : ou bien on redevient comme avant ou bien c’est autre chose. Ce qui se passera alors, je n’en sais rien, en cette matière je ne vois pas encore plus loin que le bout de mon nez.
Mais une chose est sûre, si Peter et moi nous lions d’amitié, je lui dirai que toi aussi tu l’aimes beaucoup et que tu serais prête à l’aider, si c’était nécessaire. Tu n’es certainement pas d’accord pour que je lui en parle, mais pour cette fois cela m’est égal ; ce que Peter pense de toi, je l’ignore, mais je suis bien décidée à le lui demander. Cela ne peut pas faire de mal, au
Weitere Kostenlose Bücher