Le Journal D'Anne Frank
qu’il était d’accord !
A Peter, je parle beaucoup plus facilement de choses qu’autrement je ne confie jamais ; ainsi, je lui ai dit que plus tard je veux beaucoup écrire, et même si je ne deviens pas écrivain, ne jamais négliger l’écriture, à côté de mon travail ou de mes activités.
Je ne suis pas riche en argent ou en biens matériels, je ne suis pas jolie, pas intelligente, pas fine, mais je suis heureuse et le resterai ! J’ai une nature heureuse, j’aime les gens, je ne suis pas méfiante et je veux les voir tous heureux avec moi.
Ton affectionnée Anne M. Frank
Une fois de plus, la journée ne m ’a rien apporté
Et en ténèbres elle s’est transformée !
(Ces vers datent de plusieurs semaines, ils ne comptent plus, mais comme j’en fais si rarement, je les écris quand même.)
LUNDI 27 MARS 1944
Chère Kitty,
La politique devrait en fait constituer un très gros chapitre de l’histoire écrite de notre clandestinité, mais comme, personnellement, le sujet ne me préoccupe pas spécialement, je l’ai laissé de côté bien trop souvent. Aussi vais-je aujourd’hui, pour une fois, consacrer une lettre entière à la politique. Le fait qu’il existe une foule de conceptions différentes sur la question est évident, que l’on en parle beaucoup en ces temps difficiles de guerre est encore plus logique, mais… que l’on se dispute tant à ce sujet est tout simplement idiot ! Ils peuvent faire des paris, rire, jurer, ronchonner, tout ce qu’ils veulent, du moment qu’ils mijotent dans leur jus et surtout qu’ils ne se disputent pas car alors, la plupart du temps, les conséquences sont moins heureuses. Les gens qui viennent du dehors apportent énormément de fausses nouvelles ; notre radio, en revanche, n’a jamais menti jusqu’à présent. Jan, Miep, Kleiman, Bep et Kugler ont tous des hauts et des bas dans leurs espoirs politiques, Jan peut-être moins que les autres.
Ici, à l’Annexe, les espoirs en ce qui concerne la politique sont toujours les mêmes. Lors des innombrables débats sur le débarquement, les bombardements aériens, les discours, etc., on entend des exclamations tout aussi innombrables comme « Z’é pas groyable, Mon Tieu, Mon Tieu, s’ils s’y mettent seulement maintenant qu’est-ce qu’on va devenir ! Tout ze passe gomme zur tes roulettes, parfait, magnifique ! »
Les optimistes et les pessimistes, et surtout n’oublions pas les réalistes, donnent leur avis avec une énergie infatigable, et comme pour tout, chacun pense qu’il est le seul à avoir raison. Une certaine dame s’irrite de la confiance infinie de son mari envers les Anglais, un certain monsieur s’en prend à sa dame à cause de ses réflexions taquines et dédaigneuses sur sa nation préférée. Depuis tôt le matin jusqu’à tard le soir, et le plus beau c’est qu’ils ne s’en lassent jamais. J’ai fait une trouvaille, qui fonctionne comme un détonateur, c’est comme si on piquait quelqu’un avec une aiguille pour le faire bondir. Ma technique marche exactement de la même façon, on lance le débat sur la politique, une question, un mot, une phrase, et voilà toute la famille aussitôt dans le feu de l’action !
Comme si les bulletins de la Wehrmacht et la B.B.C. ne suffisaient pas, il existe depuis pas très longtemps une « Luftlagemeldung(1) ». En un mot, magnifique, mais aussi (revers de la médaille) souvent décevant. Les Anglais se servent de leur arme aérienne en continu, cette persévérance n’ayant d’égale que celle des mensonges allemands, eux aussi débités en continu ! Ainsi la radio est déjà allumée à huit heures du matin (sinon neuf) et on l’écoute toutes les heures jusqu’à neuf heures, dix heures ou parfois même onze heures du soir. Voilà la plus belle preuve que les adultes ont de la patience et un cerveau difficile à atteindre (certains bien sûr, je ne veux offenser personne), nous devrions avoir assez d’une émission, ou de deux au plus, pour toute la journée ! Mais ces vieilles oies, enfin, je l’ai déjà dit !
Arbeiter-Program(2), Radio Orange, Frank Philips ou Sa Majesté Wilhelmine, tout y passe, ils y prêtent sans distinction une oreille docile, et s’ils ne sont pas en train de manger ou de dormir, alors ils sont assis devant la radio et parlent de manger, de dormir et de politique. Oh, comme cela devient agaçant et quel tour de force que d’éviter de se
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