Le Journal D'Anne Frank
plombier n’y arrive pas tout seul, les services municipaux ne peuvent pas venir avant mardi.
Miep nous a fait parvenir une brioche aux raisins portant l’inscription « Joyeuses fêtes de Pentecôte », on dirait presque qu’elle se moque de nous, notre humeur et notre angoisse sont loin d’être « joyeuses ».
Notre peur n’a fait qu’augmenter après la nouvelle concernant Van Hoeven, on entend à nouveau « chut » de tous les côtés, tout se fait plus silencieusement. La police a forcé la porte là-bas, si bien que nous n’en sommes pas à l’abri non plus ! Si nous aussi, un jour… non, je n’ai pas le droit de finir cette phrase, je n’arrive pourtant pas à chasser cette question aujourd’hui, au contraire, cette peur que j’ai déjà vécue me revient dans toute son horreur.
J’ai dû aller toute seule aux toilettes à huit heures ce soir, il n’y avait personne en bas, ils écoutaient tous la radio, j’ai voulu faire preuve de courage mais c’était difficile. Ici, en haut, je me sens toujours plus en sécurité que dans cette grande maison silencieuse, avec pour seule compagnie les bruits étouffés et mystérieux de là-haut et ceux des klaxons dans la rue, je tremble quand je ne vais pas assez vite ou quand je pense un instant à la situation.
Miep est beaucoup plus gentille et généreuse envers nous depuis sa discussion avec Papa. Mais je ne te l’ai pas encore racontée. Miep est arrivée un après-midi et, le visage empourpré, a demandé à Papa de but en blanc si nous pensions qu’ils étaient eux aussi contaminés par l’antisémitisme. Papa est tombé des nues et a tout fait pour lui ôter l’idée de la tête, mais les soupçons de Miep n’ont pas complètement disparu. Ils nous apportent plus de choses, ils s’intéressent davantage à nos désagréments, même si nous n’avons absolument pas le droit de les tracasser avec cela. Oh, ce sont vraiment des gens bien !
Je me demande sans cesse s’il n’aurait pas mieux valu pour nous que nous ne nous cachions pas, que nous soyons morts aujourd’hui pour ne pas avoir à supporter toute cette misère et surtout pour épargner les autres. Mais cette idée nous fait tous trembler, nous aimons encore la vie, nous n’avons pas encore oublié la voix de la nature, nous gardons encore espoir, espoir pour tout.
Pourvu qu’il se passe vite quelque chose, au besoin même des tirs, cela ne peut pas nous briser davantage que cette inquiétude, pourvu que la fin arrive, même si elle est dure, au moins nous saurons si nous allons enfin gagner ou bien périr.
Bien à toi,
Anne M. Frank
MERCREDI 31 MAI 1944
Chère Kitty,
Samedi, dimanche, lundi et mardi, il a fait si chaud que je n’arrivais pas à garder un stylo en main, aussi m’était-il impossible de t’écrire. Vendredi, les tuyaux d’évacuation étaient bouchés, samedi on les a réparés, Mme Kleiman est venue nous voir l’après-midi et nous a raconté un tas de choses sur Jopie, entre autres qu’elle est avec Jacque Van Maarsen dans un club de hockey. Dimanche, Bep est venue voir s’il n’y avait pas eu de cambriolage et elle est restée pour le petit déjeuner, lundi (le lundi de Pentecôte), M. Gies a joué le rôle de gardien des clandestins et mardi nous avons enfin pu ouvrir les fenêtres. On a encore rarement vu un temps aussi beau et chaud, on pourrait même dire sans exagérer un temps aussi torride, pour les fêtes de la Pentecôte. La chaleur ici à l’Annexe est insupportable, pour te donner une idée du type de lamentations, je vais brièvement te décrire les jours de chaleur :
Samedi : « Quel temps merveilleux », disions-nous tous le matin, et l’après-midi quand toutes les fenêtres devaient rester fermées : « Si seulement il faisait un peu moins chaud ! »
Dimanche : « Cette chaleur est insoutenable, le beurre fond, pas un coin de fraîcheur dans toute la maison, le pain devient sec, le lait tourne, impossible d’ouvrir une seule fenêtre, nous, pauvres parias, sommes là à nous étouffer pendant que les autres gens sont en vacances pour la Pentecôte », disait Madame.
Lundi : « Mes pieds me font mal, je n’ai pas de vêtements légers, je suis incapable de faire la vaisselle par cette chaleur », des lamentations du matin au soir, c’était particulièrement pénible. Je ne supporte toujours pas la chaleur, je suis contente qu’aujourd’hui le vent souffle fort et
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