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Le kabbaliste de Prague

Le kabbaliste de Prague

Titel: Le kabbaliste de Prague Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Halter,Marek
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l’on voit sur certains
portraits de femme, quand le peintre veut montrer qu’elle n’est pas simplement
un être de chair, mais aussi une intelligence clairvoyante devant la course de
l’univers.
    — Oui, souffla-t-elle tout doucement.
    Et elle m’enlaça, me serra, me baisa le cou comme une amante
comblée en répétant :
    — Oui, c’est ça, tu as trouvé, David ! Je savais
que tu saurais ! C’est ce que Grand-père rabbi doit faire : il doit
donner vie à celui qui nous défendra.
    Et moi, dans un vertige qui me fit chanceler comme si
j’avais perdu la raison aussi bien qu’un Zalman, je revis Tycho, sur Venusia,
qui me demandait, ironique et envieux : « Tu y crois pour de bon, à
cette possibilité du Golem, David Gans ? »
    Et encore : « Tu connais quelqu’un qui serait
capable de cela ? De créer un Golem ? »
    Et moi qui répondais : « Oui. S’il en est un en ce
monde qui le peut, je le connais. »
    Et là, dans les bras d’Eva, si sûre d’elle, qui me suppliait
de convaincre son grand-père, me vint aussi ce rêve qui n’était pas tout à fait
un rêve, à Gardone.
    Lecteur, si un jour je fus près de perdre la raison, de
devenir plus fou encore que l’énergumène Zalman, ce fut en cet instant.
     
    Néanmoins, je refusai tout net d’accompagner Eva devant le
MaHaRaL pour lui proposer cette folie. Je me sentais incapable d’affronter le
regard de mon Maître lorsqu’il entendrait cette demande et sa cause.
    Elle le fit le soir même. Certainement sans cacher qu’elle
en avait pris l’idée sur mes lèvres. Je m’en doutai car, le lendemain matin
après la prière, le MaHaRaL se dressa devant moi dans le vestibule qui séparait
la synagogue des salles d’études.
    Il se campa devant moi, les yeux bien ouverts, me scrutant sans
un mot. Les lèvres si fines et si closes sous sa barbe qu’on ne les voyait
plus. Un regard qu’il me fallut soutenir, bien que jamais je ne me sentisse
aussi transparent devant son examen.
    Il ne dit rien, moi encore moins.
    Dans l’après-midi arrivèrent, devant la nouvelle synagogue
du bourgmestre Maisel, trois rabbis de Varsovie et de Likov. Ils étaient dans
un état d’épouvante, dépenaillés et écorchés comme des vagabonds. Trois jours
plus tôt, leur chariot avait été brûlé à une heure de Prague. Ils s’étaient
enfuis dans les bois et avaient erré, sans eau ni nourriture, pour échapper à
leurs bourreaux.
    La nouvelle fusa dans les rues et les maisons. Avant la fin
du jour, un chant curieux retentit hors du klaus. Quand nous sortîmes, nous
découvrîmes une foule immense de femmes. Et, en première ligne, Éva.
    Elles psalmodiaient doucement le nom du MaHaRaL, le
gratifiant de toutes les grâces et de tous les pouvoirs, s’en remettant à lui
sans réserve, l’appelant « Le sauveur de nos vies » et même « Le
messie d’avant le messie ».
    Un chant répandu par Éva, je n’en doutais pas. Une ruse qui
ne pouvait que mettre son grand-père en fureur tant elle frôlait le blasphème
et heurtait son humilité. Mais une ruse efficace.
    On vit le Haut Rabbi Lœw se dresser, fouetter l’air de sa
canne pour réclamer le silence.
    — Taisez-vous, femmes ! Vous ignorez même la force
de vos mots !
    Elles cessèrent de chanter. Je surveillai Éva et vis qu’elle
se gardait de lever les yeux vers son grand-père. Mais elle ne put dissimuler
un bref sourire lorsqu’une matrone, sans hésiter, répondit :
    — Nous connaissons parfaitement le poids de nos mots,
très saint rabbi. Il coule dans notre sang avec l’amour de nos époux et de nos
enfants qui se feront massacrer demain si tu ne fais rien pour nous sauver…
    Une autre, enhardie, lança :
    — Puisque toi, tu sais plus qu’aucun autre la force de
ces mots, n’est-il pas temps que tu t’en serves ?
    — Vous ne savez pas de quoi vous parlez, s’obstina le
MaHaRaL.
    Alors Éva lança le nom de Bachrach et, à sa suite, l’une après
l’autre, les femmes prononcèrent les noms de leurs bien-aimés massacrés au
cours des deux dernières années.
    Je crus que le MaHaRaL allait encore lever sa canne pour les
faire taire, mais il baissa seulement le front et attendit que s’achève la
terrible litanie.
    Maintenant, au-delà de la foule des femmes, étaient arrivés
les hommes et les enfants. Bientôt toute la ville se pressa autour du klaus,
investissant le cimetière autant que la rue.
    Dans le silence revenu, notre Maître considéra

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