Le lacrima Christi
chambre.
Kathryn remercia le père John qui déclara qu'il resterait près du corps jusqu'à ce que l'intendant soit de retour. La jeune femme suivit Mawsby à travers les jardins et entra dans le château par une poterne qui menait aux cuisines voûtées, aux dépenses et à la resserre. L'air était chargé de vapeur et d'agréables effluves. Un gamin, le visage rouge brique, tournait une broche sur laquelle rôtissait une pièce de viande que, louche en main, il arrosait de sauce à intervalles réguliers. Kathryn observa les souillons, serviteurs, boulangers et cuisiniers. Les joues écarlates, ils s'affairaient, qui à touiller dans pots et casseroles, qui à hacher viande et légumes, qui à remplir des panières de pain frais. Ils étaient tous, semblait-il, occupés aux innombrables tâches qu'exigeait une aussi importante maison. Cependant la jeune femme saisit leurs coups d'œil à la dérobée et nota leur air fur- tif et apeuré.
— Maîtresse Swinbrooke ! appela le secrétaire du fond de la cuisine.
Kathryn s'apprêtait à le rejoindre mais elle s'arrêta net et, s'emparant d'une grande casserole et d'une lourde louche, les entrechoqua. L'effet fut immédiat : le tumulte s'apaisa et même le gamin à la broche quitta son poste.
— Connaissez-vous la nouvelle ? cria l'apothicaire sans tenir compte de l'exclamation agacée de Mawsby. Sir Walter a été tué sans pitié et voilà que c'est le tour de Veronica !
Gémissements et cris d'indignation firent écho à ses paroles.
— Elle a été assassinée, continua Kathryn. Que Dieu ait pitié de son âme et de celle de Sir Walter. Il leur donnera la paix mais il exigera aussi que de tels méfaits soient justement châtiés. Je vous le demande maintenant, au nom de votre allégeance au roi et de votre devoir envers la loi, l'un d'entre vous a-t-il vu, entendu ou remarqué quelque chose d'insolite aujourd'hui ? Soit dans la grande prairie soit ici, dans la maison où travaillait Veronica ? Si c'est le cas, vous devez m'en faire part.
Elle reposa la casserole et la louche.
— Merci de m'avoir écoutée. Je suis navrée de vous avoir dérangés.
— Était-ce nécessaire? siffla Mawsby dès qu'ils eurent quitté la cuisine.
— Oui, en tant que mandatée par le roi ! répondit- elle d'un ton sec.
Le secrétaire soupira, s'essuya les mains sur son justaucorps et prit Kathryn par le bras.
— Je ne voulais point vous offenser, Maîtresse.
Elle scruta le visage allongé du jeune homme, ses yeux verts et perçants sous une masse de cheveux d'un roux ardent, sa peau blanche comme lait.
— Ne vous ai-je point déjà rencontré, Maître Mawsby ?
Me connaissez-vous, moi, Maître Luberon ou le commissaire du roi Maître Murtagh ?
L'homme fit la moue.
— Je ne crois pas.
« Vous mentez, se dit la jeune femme. Il faut que je pose la question à Colum. »
— Je vais vous conduire à votre chambre, proposa Mawsby.
Ils empruntèrent un corridor pour gagner le couloir principal où des valets allumaient chandelles et lampes. Mawsby l'emmena en haut du grand escalier de bois ; la rampe et le noyau, taillés dans le chêne le plus beau, luisaient à la lumière des torches. On avait recouvert les lames de bois de bandes de tapis turcs luxueux qui étouffaient les bruits.
Kathryn eut l'impression de se déplacer dans un rêve. La même boiserie que dans le solar ornait les murs chaulés de l'escalier. Les cadres dorés des tableaux suspendus en hauteur étaient drapés de crêpe noir en signe de deuil.
La première galerie était somptueuse : de brillants lambris reflétaient la lumière des grandes couronnes de chandelles attachées au plafond par des chaînes. D'épais tapis couvraient le plancher. Des braseros à calotte, prêts à être utilisés et parfumés aux premiers froids, avaient été installés entre les portes ouvrant sur les chambres.
Mawsby expliqua que c'était là que se trouvaient les appartements et le cabinet de travail de Sir Walter et de Lady Elizabeth.
— Je dois y entrer, dit Kathryn.
Mawsby s'arrêta, le pied sur les marches menant à la seconde galerie.
— Y entrer ? s'étonna-t-il, sourcils froncés. Vous voulez lire les documents personnels de Sir Walter ?
— Si je l'estime nécessaire, Maître Mawsby. Je suis assez compétente pour voir si quelqu'un les a fouillés avant que je commence mon enquête.
— Mais il n'y a rien...
—
Ce sera à moi d'en juger. Vous devriez, me semble-t-il, faire part de mes
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