Le lacrima Christi
faisant, elle prêtait une oreille distraite aux bruits de la maison : une cloche annonça le souper. La mort de Sir Walter avait pris la maisonnée par surprise : il faudrait bien une journée avant que soit organisé le solennel rituel de deuil avec son jeûne et ses veillées. Le Requiem se déroulerait sans doute à la cathédrale. Il était vraisemblable que, Maltravers étant un puissant propriétaire, il avait donné des ordres pour son enterrement sous les dalles froides et demandé à être aussi près que possible de la superbe châsse de Sir Thomas Becket.
— Votre corps est mutilé, dit Kathryn entre ses dents, et votre âme a rejoint Dieu. Qui réclamera justice pour vous ou pour votre servante, Veronica ?
Elle se sentait encore dispose malgré l'agitation de la journée. Elle allait s'installer et commencer à réfléchir.
Comme elle l'aurait fait pour les affections d'un dérèglement ou d'une maladie, elle établirait d'abord une liste de ce qu'elle avait appris. Mais Amelia, désireuse de prouver qu'elle avait bien gagné sa pièce d'argent, apporta un plateau, tellement surchargé de nourriture que Kathryn se mit à rire.
— J'ai demandé un repas, pas un festin ! plaisanta-t-elle.
Elle regarda le pichet de vin.
— Et si je buvais tout ça je dormirais encore comme un loir demain à midi.
Elle s'assit et mangea ce qu'elle put pendant qu'Amelia s'empressait autour d'elle. Quand l'apothicaire eut terminé, la jeune fille remporta le plateau mais laissa le gobelet de vin rempli à ras bord. Kathryn verrouilla l'huis. Ingoldby Hall était sans doute une demeure splendide pleine de trésors, mais c'était aussi le théâtre de deux meurtres. Elle ne pouvait oublier Lady Elizabeth et ses gens. Ils semblaient si calmes ! Chagrinés certes, mais ni désolés ni éperdus de douleur. Était-ce leur faute ou celle de Maltravers ? Avait-il mené une vie trop retirée, gardant tout, y compris ses pensées intimes, sub rosa, par-devers lui ? Kathryn disposa son matériel d'écriture et alla chercher deux des chandelles de cire d'abeille pour avoir plus de lumière. Elle commença à noter ses conclusions.
Primo : Sir Walter Maltravers, un homme qui ne devait rien à personne, un combattant, un soldat, s'est enfui de Constantinople et a employé les trésors qu'il avait emportés pour amasser une fortune. L'Église et la Couronne le respectaient fort. Bien qu'il eût de puissants amis, c'était un solitaire. Il était obsédé par un événement qui avait eu lieu vingt ans auparavant et par les affrontements sanglants pendant la récente guerre civile. Peut-être pensait-il souvent à sa mort et au Jugement dernier. Écrasé de remords, il accomplissait sa pénitence du vendredi chaque fois qu'il le pouvait mais aujourd'hui, au cœur du dédale, son épouvantable malemort y a mis un terme. Y a-t-il un lien [la plume de Kathryn courait à toute vitesse sur le vélin ]
entre le trépas de Sir Walter et le vol du Lacrima Christi ?
Est-ce que je me trompe ? Les Athanatoi sont-ils réels ?
Qui a envoyé les mises en garde ? Pourquoi les bouts de parchemin étaient-ils si différents de couleur, de texture et de style d'écriture ? Cela signifie-t-il qu'il y a deux assassins ? Un groupe ? Existe-t-il d'autres preuves d'une société secrète de ce genre, mis à part les rumeurs de la Cour, les craintes personnelles de Maltravers et ces sinistres menaces ?
Secundo : Le labyrinthe. Comment le tueur y est-il entré et en est-il sorti sans qu'on le remarque ? Personne, sauf Sir Walter, ne connaissait le bon chemin et pourtant le meurtrier a dû l'attendre là-bas et lui a tranché la tête comme un bourreau avant de disparaître de façon inexpliquée. Mais lui, ou elle, portant la tête coupée et l'arme dont il s'était servi, devait être trempé de sang. De qui peut-il bien s'agir ? Tout le monde peut justifier de l'endroit où il se trouvait et de ce qu'il faisait. Un sbire ?
Mais, si c'est le cas, il aurait quand même eu besoin de la complicité d'un habitant de la maison. Et comment Sir Walter a-t-il découvert la bonne direction dans le labyrinthe alors que personne d'autre n'y est parvenu ? Il n'y a nulle référence à une carte ou à une charte. Y a-t-il un document secret ?
Tertio : Pourquoi le meurtre s'est-il déroulé dans le dédale et d'une manière si barbare ? Pourquoi pas une coupe de poison ou un poignard dans les ténèbres ?
Kathryn leva la tête et prit une profonde inspiration.
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