Le lacrima Christi
l'écurie.
— Vous êtes donc revenus au cabinet de travail ?
Le chapelain soupira bruyamment et acquiesça d'un signe de tête.
— J'ai ordonné qu'on force la porte. Les craquements et les coups ont dû s'entendre jusqu'à Cantorbéry ! C'est une porte solide, Maîtresse. Mais nous avons réussi à la briser.
Elle était verrouillée et barrée de l'intérieur. Mawsby gisait sur le sol. Près de sa main il y avait une coupe de vin qui, pour l'essentiel, s'était répandue sur le tapis. Vous feriez mieux de vous rendre compte par vous-même.
Kathryn était bien de cet avis.
Ils montèrent l'escalier principal et suivirent la galerie. À
présent hors de ses gonds de cuir, l'huis du cabinet de travail était appuyé contre le mur. À l'intérieur, Kathryn trouva peu de changement, si ce n'est le cadavre du secrétaire et, à portée de sa main, la coupe de vin dont la lie avait sali le sol. Elle s'accroupit. Les affres de la mort avaient rendu hideux le visage de Mawsby, souillé de vomissures et de bave blanche. Ses yeux étaient à demi fermés, sa bouche béante et sa peau avait pris une étrange teinte jaunâtre. Ses muscles étaient tendus et durs.
Kathryn retourna le corps. Le devant du justaucorps était aussi taché et la langue serrée entre les dents.
L'apothicaire se pencha et sentit, d'abord la bouche, puis la coupe. Elle fit une petite grimace et tâta les épaules et le cou du cadavre.
— C'est bien du poison, en effet, diagnostiqua-t-elle.
— Lequel ?
— De l'aconit, sans doute. C'est mortel et prompt.
Elle ramassa le gobet avec précaution et se souvint de l'avoir admiré la veille. L'intérieur était en étain noir. Elle se dirigea vers la petite table, prit avec soin le pichet joliment ciselé et huma la douce odeur d'un très riche bourgogne. Il y avait aussi de la lie dans les deux autres coupes. Elle les examina mais n'y découvrit nulle trace de toxique.
— Quelqu'un a-t-il bu avec Mawsby ? demanda-t-elle en regarda les trois membres de la maisonnée. Le pot est presque plein, il reste de la lie dans deux coupes et un peu de vin empoisonné laissé dans celle de ce malheureux.
— Je ne suis point venu ici la nuit dernière, déclara le père John. J'étais trop las.
Les deux autres nièrent aussi avec énergie. Kathryn fit le tour de la chambre. Elle s'installa sur le coussiège et jeta un coup d'œil par la fenêtre. Les poignées de la petite croisée étaient en place. La jeune femme promena son regard dans la pièce. Deux des murs faisaient face à l'extérieur.
Elle inspecta les deux autres.
— Si vous cherchez un passage secret, vous n'en trouverez pas, Maîtresse, fit observer le chapelain en s'affalant sur une chaire. Mawsby a passé toute la nuit ici.
— Les gardes ont fait des rondes dans le domaine, ajouta le capitaine. Ils ont vu des chandelles qui brûlaient tard dans la nuit.
L'apothicaire embrassa les lieux du regard. Toutes les chandelles s'étaient consumées dans leurs supports incrustés de cire blanche comme la neige. Elle se dirigea vers la table et reconnut les manuscrits qu'elle et Colum avaient mis de côté la veille. Un grand document, une copie du testament de Maltravers, était déroulé. L'écriture en était claire et distincte, et les mots latins très bien formés. C'était, semblait-il,
la
dernière
rédaction,
car
quelques
amendements sans importance y avaient été rajoutés.
— Mawsby devait être en train d'étudier ce contrat, murmura Kathryn. Il va se servir lui-même un gobelet de vin. Il le boit et reprend sa lecture. Puis le poison commence à faire effet.
Elle désigna la porte.
— Mais c'est trop tard. L'aconit frappe comme une flèche.
On s'effondre, se convulsé quelques instants, perd conscience et glisse dans la mort. Quel trépas hideux !
ajouta-t-elle. Quand vous habillerez sa dépouille, mon père, vous noterez des marques violacées sur son ventre, rouges, presque couleur de mûre.
Elle ausculta le corps et palpa la tête, mais ne trouva ni coup ni blessure. Elle retourna alors s'asseoir à la table et, tirant vers elle la copie du testament, la déchiffra en détail.
Sir Walter s'était montré généreux : il avait attribué des legs à des chapelles, à charge pour les prêtres de dire des messes pour son âme, et des dons à chacun de ses principaux serviteurs. La plus grande part de sa fortune revenait à Lady Elizabeth. Elle allait reposer le document quand son attention fut arrêtée par une
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