Le lever du soleil
n'y aura jamais plus haut que lui. Vous serez son guide et le mien jusqu'à sa majorité. Et je tenais à vous remercier d'avoir corrigé avec discrétion et modestie la bévue que j'allais commettre au sujet de quelques Fermes ; continuez à m'aider dans cette régence, continuez en ministre à gouverner la France, pour mon fils et en son nom. N'oubliez jamais quel que soit le décret ou l'édit que c'est au nom de Louis le quatorzième qu'il est écrit et promulgué. Mais je dis là des banalités.
- Ce sont des vérités, Madame. Et que Sa Majesté le Roi et vous-même fassiez confiance à mon peu d'expérience acquise toutefois auprès du plus grand ministre que l'Europe ait connu et du Roi le plus glorieux de ce siècle. Pour l'instant s'entend, car Louis le quatorzième n'est qu'à l'aube de son soleil. La t‚che ne sera en rien une promenade du matin au Mail, le pouvoir enchaîne, Madame, il nous interdit les caprices, il contraint à des décisions qui sont autant de responsabilités qui ne s'effacent jamais.
- Monsieur, j'en suis incapable seule, on m'a cloîtrée trop longtemps en dehors des affaires, et je m'en suis laissé éloigner moi-même par trop d'indolence. Mais l'avenir du Roi mon fils m'oblige aujourd'hui...
Elle se tourna vers Louis et lui sourit. L'Italien aima ce sourire de Mamma.
- Je suis entièrement au service de Vos Majestés, conclut Mazarin avec cet air de modestie qui le faisait déjà détester des Grands et apprécier de la Reine.
Sa modestie était un masque. Mais le masque plaisait à Anne.
- Je vais annoncer votre maintien en fonction, ou, mieux, votre nomination au nom de Louis XIV.
- Les princes vont protester... Ils attendent...
- Ils attendent que j'ouvre les coffres à leur rapacité. Or ces coffres, j'ignore ce qu'ils contiennent.
- Moi je le sais. Ils contiennent peu ou, du moins, pas assez.
Les princes s'agiteront.
- Eh bien, qu'ils s'agitent, il feront un joli vent avec le remuement de leurs rubans, et cette brise éloignera peut-être les puanteurs du Louvre, que nous devons encore habiter quelque temps, il est le sanctuaire de la royauté. Vous êtes Premier ministre, et nous avons besoin de votre présence. Le comte de Guitaut vous mènera à vos appartements. Le Roi vous y a fait installer quelques meubles qui nous l'espérons vous plairont.
- J'en remercie du fond du cúur Sa Majesté.
Louis, l'enfant silencieux, le visage grave mais aimable, murmura :
- Ainsi nous serons voisins, mon parrain.
L'‚me italienne de Mazarin fondit à cette voix enfantine. Ne pouvant embrasser le Roi enfant il baisa les mains de la Régente.
- que Leurs Majestés croient sincèrement en mon parfait dévouement.
- Ce n'est pas une croyance, Monsieur, c'est une science. Il y aura Conseil demain après présentation du Roi au Parlement. Ce testament que vous connaissez bien (la Reine sourit, moqueuse) sera cassé, du moins ce qui doit l'être. Vous trouverez les arguments politiques à présenter à ces Messieurs. Je crains qu'ils ne vous aiment guère.
- Ils aiment le Roi. Ils obéiront. Et nous leur offrirons quelques délicats brimborions. Et puis le Parlement de Paris casse toujours le testament du Roi mort au profit du pouvoir qui se met en place, la régence. Il respectera la tradition. Il aime les changements de pouvoir, dont il ramasse les miettes, aime que tout change pour que tout se perpétue, du moins pour que se perpétue son existence.
- Allez, Monsieur, mais ne soyez jamais trop loin de nous.
Les portes vont s'ouvrir, la meute va m'assiéger. Je vais leur jeter quelques os enrubannés comme les aiment leurs bichons. Os qui ne vous plairont guère, hélas je ne puis faire autrement. M. de Beauvais sera ministre, M. le Bailleul, chancelier, Beaufort sera au Conseil, j'y suis obligée, et Particelli d'Emery contrôleur des Finances, mais ce n'est qu'un titre officiel, un hochet pour sa suffisance : il a une grande qualité qui ne vous gênera point, il est ignorant. Et il m'y faut aussi un membre du feu clan espagnol, j'y mets le marquis de Chateauneuf. Saurez-vous les mater ?
- Madame, à Rome, Sa Sainteté à ses " moutardiers ", nobles, titrés, gageant des offices ronflantes mais qui ne sont que l'ombre du pouvoir. J'y ai appris des choses... et surtout comment servir les condiments. Ils ne sont là que pour rehausser les plats, mais n'entrent pas en cuisine. Mais Particelli, Madame, est un maître queux inventif ! Et je crois m'y connaître.
La Reine
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