Le lever du soleil
Cardinal. Or j'en suis une créature, tirée des limons du Tibre pour orner bien humblement les quais de la Seine.
- Vous êtes toujours ministre.
- Pour combien d'heures ?
- Combien est-il d'heures en dix années ? Disons huit, jusqu'à
la majorité du Roi.
- Vous rêvez. Aimablement à mon égard, mais vous rêvez.
- Avez-vous jamais manqué de respect à la Reine ?
- Jamais, Dieu m'en préserve, c'e˚t été d'un bien piètre politique.
- Ne l'avez-vous pas sortie d'une sottise au sujet de Cinq Fermes ?
- Vous savez cela ?
- On sait tout du Conseil sans y être.
- Et la Reine est...
- Est ?
- Disons indolente. Ne connaît pas la finance, ni la politique.
Vous êtes politique et, si j'ai bien vu qui je viens de croiser sortant de votre hôtel, pas mal financier.
- Vous avez reconnu...
- Cantarini, oui, je lui dois 30 000 livres.
Mazarin regarda le marquis.
- Vous ne les lui devez plus.
- Pardon ?
- Nous sommes associés, ce Lombard et moi. Votre dette est effacée.
- Pourquoi ?
- Mais, marquis, parce que vous êtes resté près du rejeté
quand tout le monde le fuit comme une peste. Et que j'aime que cette peste prenne cette dernière décision de ministre.
- Alors tout le monde court grand risque d'attraper ailleurs une pire maladie que votre peste généreuse.
- Laquelle, marquis ?
- Le ridicule de s'être fourvoyé.
Du bruit dehors, des appels. Mazarin écarte un rideau, regarde, commente, rembruni :
- Me voici surpris au gîte comme lièvre par la meute. Une voiture encadrée de six gardes commandés par Guitaut. Et d'o˘
sort...
- Oui...
- Auguste-Poirier de Blancmesnil, évêque de Beauvais. Cela ressemble à une arrestation. Certes la présence du capitaine est un honneur. Mais le messager est une humiliation.
- Il est Grand Aumônier, énorme titre. Messager convenable pour un cardinal.
- Non. Le titre est là pour me rappeler que je ne suis pas prêtre.
- Attendez de lire le billet dont il est porteur.
On annonça Monseigneur et le capitaine-comte.
- Eminence, la Reine vous adresse ce poulet, dit Beauvais tout miel tout sucre, tout fiel, tout benêt.
Déjà le ton était déplaisant, ce singe triomphait.
- Merci, Monseigneur, d'en être le porteur.
- C'est un immense plaisir d'être messager de la Reine, au nom du Roi, vers leur Principal Ministre.
Mazarin lut l'écrit de la Reine, évita le regard souriant de Beauvais, lança un coup d'úil acéré à Guitaut qui fixait avec un trop grand intérêt les jardins par la fenêtre.
Mazarin toussa. Guitaut se retourna vers lui.
- Je vous suis, capitaine, la Reine me mande au Louvre.
- L'escorte de Mgr le Cardinal ! cria d'une voix forte Guitaut.
L'évêque suivit la troupe à petits pas rapides, loin des enjam-bées de Mazarin et du vieux soldat. Mais en pensant que Guitaut avait outré ses propos en donnant du Monseigneur à l'Italien, le titre étant réservé au Cardinal, le grand, le mort, et non à ce
" Pantalon ", ce valet de comédie. A moins que ce f˚t là un trait cruel de vieux soldat, Beauvais était peu versé dans l'esprit militaire qu'il jugeait trop brutal pour sa théologie.
" quelle belle arrestation, pensait-il. Il faut dire que cet italiote a joliment réagi. Je le dirai à la Reine afin qu'on ne meuble pas trop mal sa cellule à la Bastille ou à Vincennes. "
- Marquis, venez-vous ? demanda Mazarin à Chouppes que Beauvais n'avait pas vu.
- Je serai au Louvre avant vous, Eminence.
- Et n'oubliez pas, marquis, ce que je dis je le tiens.
- Je n'oublie jamais rien. Même pas mes dettes.
Tous dans l'antichambre se détournèrent quand l'Eminence arriva et qu'on ouvrit à un seul battant les portes des appartements de la Reine. Richelieu en exigeait deux.
Mazarin salua le jeune Roi en trois révérences rituelles et Mme la Régente.
- Monsieur, dit la veuve royale, élégante, droite, Madone en deuil de Dieu, pensa l'Italien, gardienne des ‚mes antiques, il ne se rappelait plus, la plus belle stature depuis le port du deuil de Cinq-Mars par la princesse de Gonzague, je renouvelle à Votre Eminence l'offre du seul poste qui convienne à sa dignité, celui de Principal Ministre que mon mari le feu Roi vous avait assigné.
Vous avez toujours montré envers le Roi mon fils une grande et affectueuse ferveur, vous avez toujours respecté ma personne, malgré des pressions certaines venues de plus haut que moi et peut-être de plus haut que le feu Roi. Avec le Roi mon fils, sachez Monsieur qu'il
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