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Le lever du soleil

Le lever du soleil

Titel: Le lever du soleil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Dufreigne
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ses oreillers, il avait une allure de jeune Gascon sur le point d'entreprendre une aventure, un duel, bref, une aimable et téméraire sottise.
    Le lendemain dimanche, la Reine est assaillie par deux cents femmes hurlantes sur le court chemin qui mène son carrosse du Palais royal à la messe de Notre-Dame. Si la Reine est pieuse et suit chaque matin le service divin, elle est aussi devenue politique par nécessité ; or en ce dimanche en la cathédrale doit prêcher M. le Coadjuteur, François Paul de Gondi. Sur les conseils de Mazarin, nul n'est averti de la future présence de cette fidèle pas comme les autres parmi les ouailles de la grand-messe du matin.
    Surtout pas le prédicateur, a bien conseillé Mazarin. Elle y va masquée, comme toute dame de qualité, et escortée de gardes travestis en valets mais cachant sous manteau pistolets, dagues et rapières.
    Deux cents femmes sont là, contre une autre femme. Car le Roi n'accompagne pas sa mère. Les dévotions du jeune homme seront faites en son oratoire. Il n'est pas question pour le Prince de quitter son palais. Cette Reine que l'on clame " si bonne " seule part à
    l'aventure et à la reconnaissance du terrain. Brave soldat en éclai-reur, e˚t dit Guitaut, à qui on a aussi caché l'aventure, le capitaine n'étant pas de quartier en ce jour du Seigneur.

    Elles sont là et hurlent et supplient. On pourrait cravacher, frapper du plat de l'épée... Non. Ces femmes, épouses d'artisans et de boutiquiers, forces vives et nombreuses qui enrichissent Paris de leur travail, s'agenouillent sur le Pont-Neuf et supplient. Mères de famille, elles s'adressent à la première mère de France, la plus sacrée, la plus sincèrement pieuse aussi, la mère de l'enfant qui reçoit par fonction et naissance la gr‚ce divine, la mère de l'Enfant-Roi, et à genoux comme elles se seraient prosternées devant la mère de l'Enfant Jésus, ces mères réprimandent une mère.
    Elles lui reprochent d'avoir " un homme chez elle, qui prend tout ", et qu'" avec lui elle dissipe le bien de son fils ". La Reine frémit. Les agenouillées persistent, et évoquent " l'intendant de votre maisonnée, Madame, le contrôleur général des finances, Particelli d'Emery, qui dépense le reste avec des garces ". Elle sait que ce Particelli, si inventif en nouvelles taxes, entretient Marion de L'Orme, depuis la mort de Cinq-Mars, et ne manque pas d'of-frir des cadeaux à Ninon de L'Enclos, cette ravissante Madeleine si peu repentante des Madelonettes que les plus beaux carrosses des meilleures familles et des plus riches bourgeois font queue devant le couvent. Les femmes ayant dit leur protestation lui laissent la voie libre. Anne peut assister enfin à la messe. Mais son incognito n'est plus qu'une farce, on l'admet pour ne pas la froisser quand elle pénètre en la cathédrale en masque, comme une simple dame de qualité.
    Bien qu'on ne f˚t point au jour des Rois, M. de Gondi trouva dans le calendrier occasion de glisser de royauté céleste et de loi divine vers la royauté terrestre et la loi de ce royaume, qu'un empereur, Charles quint, arrière-grand-père de certaine dame assistant à l'office, avait décrété plus beau royaume après celui des Cieux, en déclarant un soir que, s'il e˚t été Dieu et qu'il e˚t deux fils, il e˚t fait le premier Dieu, le second roi de France.
    On l'avait serinée, Stéphanille l'avait fait dans l'enfance d'Anne, cette phrase du grand homme et la bonne Dona Stefania n'avait pas manqué de la répéter encore avant le mariage avec Louis XILI, et la rencontre de Fontarabie.
    Gondi savait qu'elle était ici. Elle ne s'en étonna pas. S'il était myope, d'autres voyaient pour lui.
    " Il y a plus de douze cents ans que la France a des Rois. Leur autorité n'a jamais été réglée comme celle des rois d'Angleterre et d'Aragon par des lois écrites. Elle a été seulement tempérée par des coutumes reçues et mises en dépôt dans les mains des Parlements. Les enregistrements des traités et les vérifications des édits pour les levées d'argent sont des images presque effacées de ce sage milieu que nos pères avaient trouvé entre la licence des Rois et le libertinage des peuples. Ce juste milieu a été considéré par les bons et sages princes comme un assaisonnement de leur pouvoir, très utile pour le faire go˚ter à leurs sujets ; il a été regardé
    par les malhabiles et par les malintentionnés comme un obstacle à leurs dérèglements et à

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