Le lever du soleil
chandelier. Et menaça l'assommé de lui couper les parties et de les envoyer en un bassin d'argent à la si accueillante duchesse blonde, comme la tête du Baptiste à Salomé, afin qu'elle se les monte en parements et affiquets.
Dans les dix minutes, on pansa les bleus, soigna l'estafilade et se raccommoda au lit, sans rien trancher à personne. On ne se réveilla qu'à midi.
On tut ces événements-là à Louis. Ce qui peut se révéler dommage, l'affaire était riche d'enseignement pour un jeune corps encore puceau et qui rêvait de ne l'être plus.
De son côté Mazarin, qui avait plus d'esprit que d'‚me, s'apprêtait à rouler Condé comme poisson dans la farine, après lui avoir beaucoup promis, M. le Prince lui ayant reconquis Paris, plus sur son nom que par les armes.
Dieu merci, tout n'était pas fini.
L'AMOUREUX DE LA REINE
Pendant les émeutes, la Régente avait caché Louis, que le peuple voulait emmener avec lui à l'Hôtel de Ville, et c'est ainsi qu'on avait d˚ fuir à Saint-Germain. Maintenant l'enfant savait la version de ce désagrément. Un jeune officier, Roger du Plessis de La Roche-Pichemer, marquis de Jarzay, le lui avait conté, et comment avec quelques autres " braves " il avait proposé à la Reine de se faire tuer à sa porte. Louis dans sa jeunesse le jugea bien exalté. Il l'était. Puis l'enfant comprit que ce Jarzay était amoureux de sa Reine. Cela passionna et intrigua les onze ans de Louis.
C'était ridicule, émouvant, mais affaire d'Etat et fit voir à Louis le monde autrement. Il épia la Cour. Il épia sa mère. Et si ces libelles que lui passait en douce son frère Philippe d'Anjou disaient vrai sur ce satrape de Mazarin ? Louis rougit. Mais en son jeune corps bien des choses avaient changé, bien des choses le torturaient. Il eut des boutons, des crises de larmes et de colère.
En cette complexion vive de garçon, la raison toujours étouffait tout, sentiments et pulsions ; Louis donna des coups de pied à son frère, gifla Brienne méchamment, voulut se battre avec Vivonne.
Ses instituteurs se plaignirent, la Reine gronda. Louis quitta la pièce et rôda dans les jardins.
Il chassa de sa compagnie M. de Villeroy, l'homme qui disait toujours oui. Mme de Sénecey, sa gouvernante, s'approcha du jeune Roi.
- Sire, confiez-vous. A vos amis, à votre mère. quel chagrin, quelle colère vous meut ainsi ?
- Madame, vous passez pour la personne la plus sage et pieuse de cette Cour. Je vous sais aussi la plus généreuse. De cette générosité du cúur que tous ici étouffent.
- Merci, Votre Majesté. Accordez alors à cette générosité de lui dire ce qui vous tourmente. Je suis également discrète, silen-
cieuse, et sais garder ce qu'on me confie.
- Ma mère la Reine régente a un amant !
- Jarzay... mais c'est une calomnie ! Ce jeune exalté pousse en effet des soupirs à fendre les pierres, regarde ses mains comme des reliques saintes, se parfume, devient ridicule.
- Ma mère lui a donné le commandement des gardes de mon frère.
- Jarzay appartient à Condé, ce commandement est destiné à
remercier M. le Prince de ses bonnes actions durant les émotions qui ont secoué Paris. De la politique.
Louis resta rêveur et fit quelques pas dans les allées. Regarda la marquise dans les yeux.
- Ma mère a quarante-neuf ans. Et ce Jarzay...
- Oh, vingt-cinq ! C'est un muguet, comme il en pousse cent par mois en ce Palais.
- Vous, Madame...
- Moi, Sire ?
- Avancez en ‚ge et avez un amant. que nul ne vous reproche. Le comte de Guitaut est brave, mon père l'aimait, ma mère a toute confiance en sa protection, moi-même lui remettrais en gage ma vie et ma couronne.
- Sire, M. de Guitaut en effet mérite ces louanges.
- Et vous, Madame, méritez l'amour de Guitaut. Mais...
- Mais, Sire... ?
- Madame, le Roi vous en prie, donnez-moi votre main.
- Elle est à vous, Sire.
Le jeune homme prit doucement la main de sa gouvernante, la contempla, baisa le bout des ongles et la retint entre ses doigts.
- Mais vous n'êtes pas Reine régente de France et mère du Roi.
- Je ne suis que votre gouvernante, honneur que je sais grand, mais qui fait de moi votre servante, et c'est un autre honneur que de servir le Roi. Une servante peut avoir un amant et non une Reine ? Est-ce cela, Sire, que votre discours signifie ?
Louis se tut. Ils marchèrent en silence ; Mme de Sénecey, de gestes discrets, éloignait qui songeait à s'approcher.
Le jardin du Palais royal
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