Le lever du soleil
comme un acteur du thé‚tre italien, en fronçant le sourcil, et déclara qu'il ne paraîtrait au Palais royal si ces ministres étaient ici acceptés. Louis XIV assis écouta, se tut. Puis se tourna vers le chancelier Séguier, lui réclamant les sceaux qu'il donnerait à
Mole. Il fit appeler La Vieuville et Chateauneuf, et indiqua leur place à la table. Condé p‚lit, Monsieur se tut.
Le Roi avait décidé.
Le lendemain Monsieur, qui n'en était pas à une promesse oubliée près, assistait au premier lever du Roi, le premier de soixante-trois ans de règne, et le soir soupait au Palais royal.
Et y dansait.
Le Roi était moins roi qu'il ne le croyait. Il dut une fois de plus ouvrir le bal avec cette grande haquenée (il aimait les mots) de Mademoiselle, sa cousine, fille de Monsieur, qui du haut de ses vingt-cinq ans entendait toujours épouser ce cousin couronné. Il y nota une différence. Désormais elle n'avait plus une tête de plus que lui. Si cela était il la couperait volontiers.
On ne peut dire que le visage du Roi reflète une grande joie bien qu'il aime tant danser, seulement danse-t-il avec élégance et y prend-il peu à peu plaisir, oubliant cette étrange cavalière qui pourrait s'engager dans ses dragons.
Son frère Philippe, duc d'Anjou, le nouveau Monsieur, s'amuse comme un fou. C'est son emploi dans la pièce, le cadet désinvolte et capricieux. Il invite même la fille de Cathau la Borgnesse pour un branle, pensant au passage que nul n'a songé, lui, à le déniaiser.
Cela tombe très bien, il sait depuis longtemps qu'il préfère les garçons. Comme Papa mais avec plus d'ardeur. Mais Mlle de Beauvais lui plaît bien, elle rit, est insolente, se moque de tout et des gens trop guindés de cette Cour, dit des cruautés, rit aux grossièretés qu'il adore claironner. Il l'aime beaucoup, elle l'aime bien, ils s'amusent.
Ils changent les pas de la danse, du branle, de la gavotte, n'en font qu'à leur tête. Le Roi, lui, respecte les règles, Philippe et sa cavalière inventent. Avec tant d'audace que le duc d'Anjou glisse, se prend un pied dans le bas de la robe de Mlle de Beauvais et tombe sur son derrière.
On se précipite, Louis arrête de danser, salue et remercie Mademoiselle (cette haquenée !).
Mlle de Beauvais éclate d'un rire que seules les filles des rues savent lancer sur le passage d'un galant éconduit ou à l'idée d'une bonne farce à lui faire.
Philippe se relève, rouge pivoine sous ses rubans de feu, regarde autour de lui, scrute les visages contrits d'hypocrisie, celui sévère (comme à chaque heure du jour) de Louis (ce roi balourd) et déteste le rire de folle de la fille de Cathau la putain du roi gamin.
Il la gifle à toute volée.
La musique cesse alors que le Roi ne l'a pas ordonné.
Mlle de Beauvais reste ainsi la bouche ouverte, surprise, glacée d'effroi, regardant le visage de Monsieur p‚le comme la mort et prêt à recommencer. Elle lève un bras, attendant un prochain coup.
La main de Philippe en effet le démange.
- Cessez, Monsieur mon frère.
Philippe se retourne vers le Roi, image de la fureur.
Louis est calme, raide, le regarde. Philippe reprend contenance mais ses yeux le trahissent.
Et le Roi sans ciller, sans crier, mais à voix très audible, dit :
- qu'on le fouette !
Un murmure, une vague inonde la salle de bal. Fouetter le frère du Roi, la seconde personne dans la hiérarchie du Trône, l'héritier immédiat de la Couronne !
- On ne gifle pas une dame devant le Roi. qu'on le fouette !
Le Roi là aussi a décidé.
Mais sait-il qu'un Roi a besoin de mesure ?
Pendant ce temps Condé hésite. Ce que Richelieu et Louis XIII réussissaient en tergiversant, soudoyant, ondoyant, installer et imposer un ministère, le gamin l'a réussi en restant assis sur son cul et en décidant. Il sourit, du moins un rictus se dessine-t-il sous le bec d'aigle qui lui sert de nez ! C'est bien un Bourbon, que ce cousin-là. Un vrai ! Condé aurait presque envie d'applaudir. Avec une telle volonté, pourquoi aurait-il besoin d'un Mazarin ?
Se rallier à lui, être ministre, gouverner ensemble, en cousins.
La Reine est fatiguée, parle de plus en plus du Val-de-Gr‚ce o˘
elle veut reposer, prier, se défaire de ce pouvoir qui l'enchaîne plus qu'il ne lui plaît.
Se rallier, devenir ministre. Laisser tomber ses amis, ses frères...
Ce nabot noiraud de Gondi ! devenir... non.
Jamais Condé ne sera un bichon du petit Roi. L'instabilité du
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