Le lever du soleil
agaçants, montrait en alexandrins sur le thé‚tre.
Un vers lui revenait d'une de ses nobles tragédies : " Enfin je vous veux roi, regardez si vous l'êtes. "
Louis regardait donc, en lui et alentour. Dans les Rois passés dont La Porte lui avait lu les portraits, les grandeurs, les bassesses, les sagesses et les folies, et en l'avenir, c'est-à-dire en l'image que, dans ce grand livre d'histoire, lui, Louis XIV roi de France et de cette Navarre qu'il ne connaissait pas, y laisserait. Il ne rêvait plus alors comme il rêva enfant, n'osant pas trop vivre et s'affirmer en toute clarté ; il imaginait et désirait, ce qui en son esprit était déjà vouloir et agir.
Et le benêt et le sot selon Gondi-Retz (il en sourit sans trop de rage) fut gommé quand on lui rapporta ce mot du cardinal de Mazarin au maréchal de Villeroy, si mauvais gouverneur : " Le Roi se mettra en chemin un peu tard, mais il ira plus loin qu'un autre. " Vérité, pensa-t-il, et sans complaisance, ce qu'il commen-
çait à aimer tout en le redoutant. Et cet autre mot du même homme paraissant si ondoyant et dissimulateur au commun, mais qui livrait des lumières de l'esprit, ce mot-là avait été asséné à la table de jeu du maréchal-duc de Grammont, chez qui il aimait tricher (Louis sourit là encore, d'une coquine affection) : " Vous connaissez mal notre jeune Prince, il y a en lui quatre Rois et un honnête homme. " Tout compliment débité dans votre dos et dont on ignore s'il sera rapporté est de grande sincérité.
Il regarda Mazarin d'un autre úil. Etait-il en amour avec sa mère ? Si sa mère avait besoin d'" amitié ", elle était femme, la belle affaire ! Il la préférait heureuse à la Cour qu'au Val-de-Gr‚ce dont elle parlait souvent pour s'y retirer. Ce que Louis craignait, et aussi espérait, comme cette solitude qu'avait évoquée son père sur le métier de Roi. Louis avait besoin d'elle, comme il avait encore besoin de Mazarin son parrain. Ce parrainage n'était point celui qu'avait célébré l'évêque de Meaux à son baptême, et Louis en cette cérémonie était en ‚ge assez grandi pour s'en souvenir, mais un parrainage qui avait reçu l'onction de la vie. De la vie, de la révolte, de la guerre civile et de la victoire sur les séditions.
Ainsi que d'autres victoires aux frontières.
La vie, le thé‚tre et la guerre. Un vers de Corneille et une canonnade, voilà qui était tout comme. Arrêtant Retz, et " faisant le Roi ", comme il s'en était vanté, il avait inscrit le mot fin au dernier acte de cette bouffonnerie tragique que fut la Fronde ; et ce, il l'avait réalisé en prononçant le mot de code " thé‚tre ". Le mot préféré de cet amoureux des mots.
Les mots avaient leur importance dans le destin des hommes.
Certains mots vous marquaient au front, comme l'huile sainte des sacres, ou l'eau lustrale des baptêmes. Et pour se faire lui-même roi, il s'était marqué du masque du thé‚tre. Il était assez jeune pour que cela l'amuse ; il devenait assez roi pour en tirer une leçon.
Il se savait encore assez timide, sauf dans son apparence qu'il imposait à la Cour, pour dissimuler ses pensées, qu'il aimait, car c'était plaisir, confier parfois au papier.
" Un prince, et un roi de France, peut considérer quelque chose de plus dans les divertissements publics, qui ne sont pas tant les nôtres que ceux de notre Cour et de tous nos peuples. Il y a des nations o˘ la majesté du Roi consiste à ne point se laisser voir, et cela peut avoir ses raisons parmi les esprits accoutumés à la servitude, et que l'on gouverne par la terreur ; mais ce n'est pas dans le génie de nos Français et, d'aussi loin que nos histoires nous le peuvent instruire, s'il y a quelque chose de singulier dans cette monarchie, c'est l'accès libre et facile au Prince. "
Ainsi, entrant en lui-même, Louis XIV entreprend de vaincre cette timidité native qu'il se reconnaît, héritée aussi de son père, par l'accès facile et la monstration publique. Il danse, il paraît, il est. Si la porte de son cabinet s'ouvre et qu'il la doit passer, dans un seul mouvement se produit une métamorphose, Louis devient le Roi, il compose son attitude, prend une autre expression de figure, un masque noble, comme lorsqu'il paraît en Soleil dans un ballet, il fait le Roi ! Même s'il n'a pas tous les jours un cardinal frondeur à emprisonner, il a chaque jour son image à imposer.
De plus, il est beau. Il l'est devenu. Il y a
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