Le Lis et le Lion
d’Artois, ceux qui l’avaient
connu l’imaginaient errant de petite cour en petite cour, accueilli un jour,
banni le lendemain, repartant plus loin pour être chassé encore. Pourquoi
avait-il mis tant d’acharnement à sa propre perte, quand le roi, jusqu’au bout,
lui avait ouvert les bras ?
— « Nonobstant que
l’enquête fût close, après soixante et seize témoins entendus, dont quatorze
retenus aux prisons royales, et la justice du roi suffisamment éclairée,
nonobstant que les charges énumérées fussent assez apparentes, notre Sire le
roi, par amitié ancienne, a fait savoir audit Robert d’Artois qu’il lui donnait
sauf-conduit pour rentrer au royaume et en ressortir s’il lui plaisait, sans
qu’il lui soit causé de mal ni à lui ni à ses gens, afin qu’il pût entendre les
charges, présenter sa défense, reconnaître ses torts et obtenir sa grâce. Or
ledit Robert, loin de saisir cette offre de clémence, n’est point rentré au
royaume, mais, en ses divers séjours, il s’est abouché à toutes sortes de mauvaises
gens, bannis et ennemis du roi, et il a averti moult personnes, qui l’ont
répété, de son intention de faire périr par glaive ou maléfice le chancelier,
le maréchal de Trye et divers conseillers de notre Sire le roi, et enfin il a
prononcé les mêmes menaces contre le roi lui-même. »
L’assistance bourdonna d’un long
murmure indigné.
— « Toutes ces choses
susdites étant sues et notoires, vu que ledit Robert d’Artois a été ajourné une
dernière fois, par publications régulièrement faites, à ce présent mercredi
huit avril avant Pâques fleuries, et que le citons à comparaître pour la
quatrième fois… »
Simon de Bucy s’interrompit et fit
signe à un sergent massier, lequel prononça à très haute voix :
— Messire Robert d’Artois,
comte de Beaumont-le-Roger, à comparaître !
Tous les regards se tournèrent
instinctivement vers la porte comme si l’accusé allait vraiment entrer.
Quelques secondes passèrent, dans un silence total. Puis le sergent frappa le
sol de sa masse, et le procureur poursuivit :
— … et constatons que
ledit Robert fait défaut, en conséquence, au nom de notre Sire le roi,
requérons : que ledit Robert soit déchu des titres, droits et prérogatives
de pair du royaume, ainsi que de tous ses autres titres, seigneuries et
possessions ; outre plus que ses biens, terres, châteaux, maisons et tous
objets, meubles ou immeubles lui appartenant soient confisqués et remis au
Trésor, pour qu’il en soit disposé selon la volonté du roi ; outre plus
que ses armoiries soient détruites en présence des pairs et barons, pour jamais
ne paraître plus sur bannière ou sur sceau, et sa personne à toujours bannie
des terres du royaume, avec interdiction à tous vassaux, alliés, parents et
amis du roi notre Sire de lui donner abri ; enfin requérons que la
présente sentence soit à cris proclamée et à trompes aux carrefours principaux
de Paris, et signifiée aux baillis de Rouen, Gisors, Aix et Bourges, ainsi
qu’aux sénéchaux de Toulouse et de Carcassonne, pour qu’il en soit fait
exécution… de par le roi. »
Maître Simon de Bucy se tut. Le roi
semblait rêver. Son regard erra un moment sur l’assemblée. Puis inclinant la
tête, d’abord à droite, ensuite à gauche :
— Mes pairs, votre conseil,
dit-il. Si nul ne parle c’est qu’il approuve !
Aucune main ne se leva, aucune
bouche ne s’ouvrit.
La paume de Philippe VI frappa
la tête du lion au bras du fauteuil :
— C’est chose jugée !
Le procureur alors commanda aux deux
sergents qui tenaient l’écusson de Robert d’Artois de s’avancer jusqu’au pied
du trône. Le chancelier Guillaume de Sainte-Maure, l’un de ceux que Robert,
dans son exil, menaçait de mort, s’avança vers le panonceau, demanda le glaive
d’un des sergents et en attaqua le bord de l’étoffe. Puis, dans un long
crissement de soie, l’écusson fut partagé.
La pairie de Beaumont avait vécu.
Celui pour lequel elle avait été instituée, le prince de France descendant du
roi Louis VIII, le géant à la force fameuse, aux intrigues infinies,
n’était plus qu’un proscrit ; il n’appartenait plus au royaume sur lequel
ses ancêtres avaient régné, et rien en ce royaume ne lui appartenait plus.
Pour les pairs et les seigneurs,
pour tous ces hommes dont les armoiries étaient comme l’expression non
seulement de la puissance
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