Le Lis et le Lion
premières
années ? Qui l’avait élevé ? Avait-il toujours porté le même
nom ?
Après chaque demande, Rienzi
attendait la réponse, écoutait, hochait le menton, interrogeait de nouveau.
Donc Giannino avait vu le jour dans
un couvent de Paris. Sa mère, Marie de Cressay, l’avait élevé jusqu’à l’âge de
neuf ans, en Ile-de-France, près d’un bourg nommé Neauphle-le-Vieux. Que
savait-il d’un séjour qu’aurait fait sa mère à la cour de France ? Le
Siennois se rappelait les propos de son père, Guccio Baglioni, à ce
sujet : Marie de Cressay, peu après avoir accouché de Giannino, avait été
appelée à la cour comme nourrice, pour le fils nouveau-né de la reine Clémence
de Hongrie ; mais elle y était peu restée, puisque l’enfant de la reine
était mort au bout de quelques jours, empoisonné disait-on.
Et Giannino se mit à sourire. Il
avait été frère de lait d’un roi de France ; c’était chose à laquelle il
ne songeait presque jamais et qui lui paraissait soudain incroyable, presque
risible, lorsqu’il se contemplait, tout près d’atteindre quarante ans, dans sa
tranquille existence de bourgeois italien.
Mais pourquoi Rienzi lui posait-il
toutes ces questions ? Pourquoi le tribun aux gros yeux clairs, le bâtard
de l’avant-dernier empereur, l’observait-il avec cette attention
réfléchie ?
— C’est bien vous, dit enfin
Cola de Rienzi, c’est bien vous…
Giannino ne comprenait pas ce qu’il
entendait par là. Il fut encore plus surpris quand il vit l’imposant tribun
mettre un genou en terre et s’incliner jusqu’à lui baiser le pied droit.
— Vous êtes le roi de France, déclara
Rienzi, et c’est ainsi que tout le monde doit vous traiter désormais.
Les lumières vacillèrent un peu
autour de Giannino.
Quand la maison où l’on se tient
paisiblement à dîner se fissure soudain parce que le sol est en train de
glisser, quand le bateau sur lequel on dort vient en pleine nuit éclater contre
un récif, on ne comprend pas non plus, dans le premier instant, ce qui arrive.
Giannino Baglioni était assis dans
une chambre du Capitole ; le maître de Rome s’agenouillait à ses pieds et
lui affirmait qu’il était roi de France.
— Il y a eu neuf ans au mois de
juin, la dame Marie de Cressay est morte…
— Ma mère est morte ?
s’écria Giannino.
— Oui, mon grandissime
Seigneur… celle plutôt que vous croyiez votre mère. Et l’avant-veille de mourir
elle s’est confessée…
C’était la première fois que
Giannino s’entendait appeler « grandissime Seigneur » et il en
demeura bouche bée, plus stupéfait encore que du baise-pied.
Donc, se sentant proche de
trépasser, Marie de Cressay avait appelé auprès de son lit un moine augustin
d’un couvent voisin, Frère Jourdain d’Espagne, et elle s’était confessée à lui.
L’esprit de Giannino remontait vers
ses premiers souvenirs. Il voyait la chambre de Cressay et sa mère blonde et
belle… Elle était morte depuis neuf ans, et il ne le savait pas. Et voilà qu’à
présent elle n’était plus sa mère.
Frère Jourdain, à la demande de la
mourante, avait consigné par écrit cette confession qui constituait la
révélation d’un extraordinaire secret d’État, et d’un non moins extraordinaire
crime.
— Je vous montrerai la
confession, ainsi que la lettre de Frère Jourdain ; tout cela est en ma
possession, dit Cola de Rienzi.
Le tribun parla pendant quatre
heures pleines. Il n’en fallait pas moins, et d’abord pour instruire Giannino
d’événements, vieux de quarante ans, qui faisaient partie de l’histoire du
royaume de France : la mort de Marguerite de Bourgogne, le remariage du
roi Louis X avec Clémence de Hongrie.
— Mon père avait été de
l’ambassade qui alla chercher la reine à Naples ; il me l’a plusieurs fois
raconté, dit Giannino ; il faisait partie de la suite d’un certain comte
de Bouville…
— Le comte de Bouville,
dites-vous ? Tout se confirme bien ! C’est ce même Bouville qui était
curateur au ventre de la reine Clémence, votre mère, noblissime Seigneur, et
qui alla faire prendre, pour vous nourrir, la dame de Cressay au couvent où
elle venait d’accoucher. Elle a raconté cela précisément.
À mesure que le tribun parlait, son
visiteur se sentait perdre la raison. Tout était retourné ; les ombres devenaient
claires, le jour devenait noir. Giannino obligeait souvent Rienzi à revenir
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