Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
autoritaire, qui l’avait toujours dominée,
et à laquelle, depuis l’enfance, elle craignait d’adresser la parole.
    Mahaut elle aussi se souvenait…
    — Et toujours à cause de ce
mauvais Robert, dit-elle ; c’est lui qui avait tout manège avec cette
chienne d’Isabelle dont on me dit que les affaires ne vont pas fort pour
l’heure, non plus que celles du Mortimer dont elle est la putain. Ils seront
tous châtiés un jour !
    Chacune suivait sa propre pensée.
    — À présent j’ai des cheveux…
mais j’ai des rides, murmura la reine veuve.
    — Tu auras l’Artois, ma fille,
dit Mahaut en lui posant la main sur le genou.
    Béatrice contemplait la campagne et
souriait aux nuages.
    Philippe VI reçut Mahaut
courtoisement, mais non sans quelque hauteur, et parla comme il sied à un roi.
Il voulait la paix entre ses grands barons ; les pairs, soutiens de la
couronne, ne devaient point donner l’exemple de la discorde ni s’offrir au
déshonneur public.
    — Je ne veux point juger de ce
qui s’est accompli sous les précédents règnes, dit Philippe comme s’il jetait
un voile d’indulgence sur les agissements anciens de Mahaut. C’est sur l’état
présent que je veux statuer. Mes commissaires ont achevé leur besogne ;
les témoignages, ma cousine, ne vous sont guère favorables, je ne vous le peux
celer. Robert va produire ses pièces…
    — Témoignages payés et travaux
de faussaires… grommela Mahaut.
    Le repas eut lieu dans la grande
salle, celle-là même où autrefois Philippe le Bel avait jugé ses trois brus.
« Tout le monde doit y penser », se disait la reine Jeanne la
Veuve ; et elle en avait l’appétit coupé. Or, à l’exception de sa mère et
d’elle-même, personne ne songeait plus à cet événement lointain dont presque
tous les témoins déjà avaient disparu. Tout à l’heure, peut-être, à l’issue du
dîner, un vieil écuyer dirait à un autre :
    — Vous rappelez-vous, messire,
nous étions là, quand Madame Jeanne monta dans le chariot… et voilà qu’elle
revient en reine douairière…
    Et le souvenir s’effacerait aussitôt
qu’évoqué.
    C’est une erreur commune à tous les
humains que de croire que leur prochain accorde à leur personne autant
d’importance qu’ils lui en attachent eux-mêmes ; les autres, sauf s’ils
ont un intérêt particulier à s’en souvenir, oublient vite ce qui nous est
arrivé ; et si même ils n’ont pas oublié, leur souvenir ne revêt pas la
gravité que nous imaginons.
    En un autre lieu peut-être Mahaut se
fût montrée plus accessible aux propositions de Philippe VI. Monarque qui
se voulait arbitre, il cherchait l’accommodement. Mais Mahaut, parce qu’elle
était à Maubuisson, et que toutes ses haines s’en trouvaient ravivées, ne se
sentait pas en humeur de céder. Elle ferait condamner Robert comme faussaire,
elle prouverait qu’il était parjure, c’était là son unique pensée.
    Obligée de mesurer ses paroles, elle
mangeait énormément, par compensation, engloutissant tout ce qu’on lui
présentait au plat, et vidant son hanap aussitôt que rempli. La colère autant
que le vin lui empourprait le visage. Le roi n’était-il pas en train de lui
conseiller, tout bonnement, d’abandonner son comté à Robert, celui-ci
s’engageant à verser à sa tante quarante mille livres l’an ?
    — Je me fais fort, disait
Philippe, d’obtenir là-dessus l’agrément de votre neveu.
    Mahaut pensa : « Si Robert
en est à me faire proposer cela par son beau-frère, c’est donc bien qu’il n’est
pas très assuré de ses titres et qu’il préfère payer une rente de quarante
mille livres l’année plutôt que de montrer ses fausses pièces ! »
    — Je refuse, Sire mon cousin,
dit-elle, de me dépouiller ainsi ; et comme l’Artois m’appartient, votre
justice me le conservera.
    Philippe VI la regarda
par-dessus son grand nez. Cette obstination à refuser était peut-être dictée à
Mahaut par un souci d’orgueil, ou bien par la crainte, en cédant, d’accréditer
les accusations… Philippe suggéra une autre solution : Mahaut gardait son
comté, ses titres et droits, sa couronne de pair, pour toute sa vie durant, et
elle instituait par-devant le roi, en un acte ratifié par les pairs, son neveu
Robert comme héritier de l’Artois. Honnêtement, elle n’avait aucune raison de
s’opposer à cet arrangement ; son seul fils lui avait été tôt repris par
Dieu ; sa fille ici

Weitere Kostenlose Bücher