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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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minute, le salaire de ses crimes, ne l’effleura même pas.
C’était une âme sans rachat.
    Quand sa fille arriva de Poissy,
Mahaut lui désigna Béatrice d’un doigt raide et froid qui ne pouvait presque
plus bouger ; sa lèvre se contracta ; mais sa voix ne put sortir, et
elle rendit la vie dans cet effort.
    Aux obsèques qui eurent lieu le 30
novembre, à Maubuisson, Robert eut un maintien pensif et sombre qui surprit. Sa
manière eût été davantage d’afficher un air de triomphe. Pourtant son attitude
n’était pas feinte. À perdre un ennemi contre lequel on s’est battu vingt ans,
on éprouve une sorte de dépouillement. La haine est un lien très fort qui
laisse, en se rompant, quelque mélancolie.
    Obéissant aux dernières volontés de
sa mère, la reine Jeanne la Veuve, dès le lendemain, demandait à Philippe VI
que le gouvernement de l’Artois lui fût remis. Avant de répondre,
Philippe VI tint à s’en expliquer très franchement avec Robert :
    — Je ne puis faire autrement
que de déférer à la requête de ta cousine Jeanne, puisque d’après les traités
et jugements elle est l’héritière légitime. Mais c’est un consentement de pure
forme que je vais donner, et provisoire, jusqu’à ce que nous parvenions à un
règlement ou bien que le procès ait lieu… Je t’engage à m’adresser au plus tôt
ta propre requête.
    Ce que Robert s’empressa de faire,
par une lettre ainsi rédigée : « Mon très cher et redouté Seigneur,
comme je, Robert d’Artois, votre humble comte de Beaumont, ai été longtemps
déshérité contre droits et contre toute raison, par plusieurs malices, fraudes
et cautèles, de la comté d’Artois, laquelle m’appartient et doit m’appartenir
par plusieurs causes bonnes, justes, de nouveau venues à ma connaissance, ainsi
vous requiers humblement qu’en mon droit vous me vouliez ouïr… »
    La première fois que Robert revint à
la maison Bonnefille, Béatrice crut lui servir un plat de choix en lui faisant
le récit, heure par heure, des derniers moments de Mahaut. Il écouta, mais sans
témoigner aucun plaisir.
    — On dirait que tu la
regrettes, dit-elle.
    — Non point, non point,
répondit Robert, pensivement, elle a bien payé…
    Son esprit était déjà tourné vers le
prochain obstacle.
    — À présent je puis être dame
de parage chez toi. Quand vais-je entrer en ton hôtel ?
    — Quand j’aurai l’Artois,
répondit Robert. Fais en sorte de rester auprès de la fille de Mahaut ;
c’est elle, maintenant, qu’il me faut écarter de ma route.
    Lorsque Madame Jeanne la Veuve,
retrouvant un goût des honneurs qu’elle n’avait plus éprouvé depuis la mort de
son époux Philippe le Long, et libérée, enfin, à trente-sept ans, de
l’étouffante tutelle maternelle, se déplaça en grand appareil pour aller
prendre possession de l’Artois, elle fit halte à Roye-en-Vermandois. Là, elle
eut envie de boire un gobelet de vin claret. Béatrice d’Hirson dépêcha
l’échanson Huppin à en quérir. Huppin était plus attentif aux yeux de Béatrice
qu’aux devoirs de son service ; depuis quatre semaines il languissait
d’amour. Ce fut Béatrice qui apporta le gobelet. Comme elle était cette fois
pressée d’en finir, elle n’usa pas d’arsenic mais de sel de mercure.
    Et le voyage de Madame Jeanne
s’arrêta là.
    Ceux qui assistèrent à l’agonie de
la reine veuve racontèrent que le mal la saisit vers le milieu de la nuit, que
le venin lui coulait par les yeux, la bouche et le nez, et que son corps devint
tout taché de blanc et de noir. Elle ne résista pas deux jours, n’ayant survécu
que deux mois à sa mère.
    Alors la duchesse de Bourgogne,
petite-fille de Mahaut, réclama la comté d’Artois.
     

TROISIÈME PARTIE

LES DÉCHÉANCES
     

I

LE COMPLOT DU FANTÔME
    Le moine avait déclaré s’appeler
Thomas Dienhead. Il avait le front bas sous une maigre couronne de cheveux
couleur de bière, et tenait les mains cachées dans ses manches. Sa robe de
Frère Prêcheur était d’un blanc douteux. Il regardait à droite et à gauche et
avait demandé par trois fois si « my Lord » était seul, et si aucune
autre oreille ne risquait d’entendre.
    — Mais oui, parlez donc, dit le
comte de Kent du fond de son siège, en agitant la jambe avec un rien
d’impatience ennuyée.
    — My Lord, notre bon Sire le
roi Édouard le Second est toujours vivant.
    Edmond de Kent n’eut pas le sursaut
qu’on aurait pu

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