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Le Lis et le Lion

Le Lis et le Lion

Titel: Le Lis et le Lion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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part-elle avec
vous ?
    — Mon épouse me rejoindra plus
tard. Alors voilà, banquier : mon trésor de monnaie contre lettres de
change sur vos comptoirs de Hollande et d’Angleterre. Et gardez pour vous deux
livres sur vingt.
    Tolomei déplaça un peu sa tête sur
l’oreiller, et entama avec son neveu et ses cousins une conversation en italien
dans laquelle Robert ne saisissait que des bribes. Il captait mots de débito … rimborso … deposito … En acceptant l’argent d’un seigneur français,
la compagnie des Tolomei ne contrevenait-elle pas à l’ordonnance ? Non,
puisqu’il ne s’agissait pas d’un règlement de dettes, mais d’un deposito …
    Puis Tolomei tourna de nouveau vers
Robert d’Artois son visage de sel et ses lèvres bleuies.
    — Nous aussi, Monseigneur, nous
partons ; ou plutôt eux partent… dit-il en désignant ses parents. Ils vont
emporter tout ce que nous avons ici. Nos Compagnies en ce moment sont divisées.
Les Bardi, les Peruzzi hésitent ; ils pensent que le pire est passé, et
qu’en courbant un peu l’échine… Ils sont comme les Juifs qui font toujours
confiance aux lois et croient qu’on les tiendra quittes lorsqu’ils auront payé
leur rouelle ; ils payent la rouelle et ensuite on les mène au
bûcher ! Alors, les Tolomei, eux, s’en vont. Ce départ causera quelque
surprise car nous emportons en Italie tout l’argent qui nous a été
confié ; le plus gros en est déjà acheminé. Puisqu’on refuse de nous payer
les dettes, eh bien, nous emportons les dépôts [24]  !
    Une dernière expression de malice
glissa sur les traits effondrés du vieil homme.
    — Je ne laisserai à la terre de
France que mes os qui sont petite richesse, ajouta-t-il.
    — La France, en vérité, ne nous
a pas été bonne, dit Guccio Baglioni.
    — Eh quoi ! elle t’a donné
un fils, ce n’est pas si mal !
    — C’est vrai, dit Robert
d’Artois, vous avez un garçon. Il pousse bien ?
    — Grand merci, Monseigneur,
répondit Guccio. Oui, il est bientôt plus haut que moi ; il a quinze ans.
Mais il montre peu de goût pour la banque.
    — Il y viendra, il y viendra,
dit le vieillard… Alors, Monseigneur, nous acceptons. Confiez-nous votre trésor
de monnaie ; nous le ferons sortir et vous remettrons lettres de change
pour le montant, sans en rien retenir. La monnaie fraîche est toujours
serviable.
    — Je t’en sais gré,
Tolomei ; mes coffres seront portés à la nuit.
    — Quand l’argent commence à
fuir un royaume, le bonheur de ce royaume est mesuré. Vous aurez votre
revanche, Monseigneur ; je ne la verrai point, mais je vous le dis, vous
aurez votre revanche !
    L’œil gauche, habituellement clos,
s’était ouvert ; Tolomei le regardait des deux yeux ; le regard de la
vérité, enfin. Et Robert d’Artois se sentit l’âme toute remuée, parce qu’un
vieux Lombard qui allait bientôt mourir l’observait intensément.
    — Tolomei, j’ai vu des hommes
courageux, lutter jusqu’au bout en bataille ; tu es aussi courageux
qu’eux, à ta manière.
    Un sourire triste passa sur les
lèvres du banquier.
    — Ce n’est point du courage, Monseigneur,
au contraire. Si je ne faisais pas de banque, j’aurais si peur en ce
moment !
    Sa main amaigrie se leva de la
couverture et fit signe à Robert d’approcher.
    Robert se pencha, comme pour
recueillir une confidence.
    — Monseigneur, dit Tolomei,
laissez-moi bénir mon dernier client.
    Et il traça du pouce un signe de
croix sur les cheveux du géant, ainsi que les pères italiens ont coutume de le
faire au front de leurs fils, lorsqu’ils partent pour un long voyage.
     

X

LE LIT DE JUSTICE
    Au centre d’une estrade à degrés, sur
un siège aux bras terminés par des têtes de lion, Philippe VI était assis,
couronne en tête et revêtu du manteau royal. Une grande broderie de soie, aux
armes de France, ondulait au-dessus de lui ; il se penchait de temps à
autre, tantôt à sa gauche vers son cousin le roi de Navarre, tantôt à sa droite
vers son parent le roi de Bohême, pour les prendre à témoin du regard, et leur
faire apprécier combien sa mansuétude avait été longue.
    Le roi de Bohême secouait sa belle
barbe châtaine, d’un air à la fois confondu et indigné. Se pouvait-il qu’un
chevalier, un pair de France, comme l’était Robert d’Artois, un prince à la
fleur de lis, se fût conduit de telle façon, eût mis la main à d’aussi sordides
entreprises que celles en

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