Le lit d'Aliénor
verre sur le coffre qui lui collait aux reins.
Tirant délicatement sur le fil de satin qui nouait les lacets de son corsage, elle ajouta, l’œil provocant :
– Nous avons mieux à faire, il me semble.
– Chienne ! siffla le comte entre ses dents, giflant d’un geste large la joue rosée par l’alcool.
Béatrice accusa le coup. Ce jeu l’excitait. Le comte poussa une jambe dans le siglaton rouge de la robe et culbuta l’impertinente sur le coffre. Elle n’eut qu’un cri de douleur lorsqu’il déchira son ventre après avoir retroussé ses jupes sur sa taille, mais cette violence même lui procura du plaisir. « Chienne ! » répéta Étienne de Blois en arrachant les lacets du corsage pour emprisonner un sein blanc et rond dans sa poigne. Béatrice ne le quittait pas des yeux, un air de défi et de supériorité dans la prunelle bleue qu’il avait envie de briser, de soumettre. Il pinça la pointe durcie entre ses doigts épais et s’activa entre les cuisses offertes.
Béatrice n’y résista plus ; arquant ses reins pour recevoir le brutal hommage, elle chavira. Étienne de Blois la gifla encore, maugréant entre ses dents serrées quelque chose qu’elle ne comprit pas, puis se libéra dans sa chair en un dernier coup de reins.
Il se rajusta sans la regarder et alla empoigner la bouteille d’eau-de-vie qu’il délesta de plusieurs lampées. Béatrice se releva et mit de l’ordre dans sa toilette. Sa joue gauche lui cuisait. Elle y devinait la trace des doigts boudinés comme une marque au fer rouge. Elle s’en grisa. Le roi Louis était un sot, pensa-t-elle, qui se flagellait à la moindre pensée obscène quand elle n’aurait demandé qu’à expier pour lui et sous le joug de son corps toutes les punitions divines.
Elle se présenta à son bourreau la mine calme et avança une main gracieuse vers la bouteille qu’il levait encore à sa bouche.
– Permettez ?
Il la lui tendit simplement. Décidément, cette donzelle lui plaisait. Béatrice se régala de plusieurs goulées et dans un même geste l’un et l’autre frottèrent leurs lèvres d’un revers de manche. Alors, par cette similitude, ils éclatèrent d’un rire commun.
– Ainsi donc, les chevaliers du Temple rassemblent leur trésor pour s’armer. J’avais eu vent de la chose en Normandie où, vous le savez sans doute, j’ai étendu leurs possessions. Ils contrôlent par le fait les agissements des comtes d’Anjou et les alliances que cette scélérate de Mathilde a pu renouer. L’Angleterre et la Normandie m’appartiennent, sang Dieu, et ce n’est pas une femme qui me les ravira, ricana le comte de Blois.
– Ne soyez sûr de rien, messire, sans quoi vous perdrez plus que vous n’imaginez, tempéra Béatrice, un sourire aux lèvres.
L’effervescence passée, ils s’étaient retrouvés amis et s’étaient alanguis dans de confortables fauteuils.
– Il n’est pas dans mes habitudes de dormir sur mes lauriers. Quoi qu’il en soit, cette idée de croisade me plaît. Mes rivaux seront affaiblis, quand je vais conserver une force de frappe en Angleterre. Je doute fort que beaucoup se soustraient à la voix de Bernard de Clairvaux.
– C’est aussi ce que pense l’abbé Suger. Cependant, pareille entreprise nécessite des alliances et des moyens. Il compte sur votre influence pour rallier à cette cause les féaux du roi de France qui possèdent quelques biens et sont sous votre protection.
– Qu’il n’ait crainte. On suivra mon bras, à la condition qu’on soutienne mes prétentions.
– Il me semble, messire, qu’en ce domaine le Temple a plus d’une fois montré combien il vous était reconnaissant de vos largesses.
– Certes. Toutefois, la mort de Guenièvre de Grimwald a bien servi mes plans sans qu’ils aient à intervenir.
– La puissance de Dieu, mon cher, ne saurait plier devant la magie.
– Il faudrait brûler ces sorcières, que leurs âmes soient consumées par les flammes de l’enfer, maugréa Etienne.
– Soumettez donc cette idée à Bernard de Clairvaux. Son précédent manifeste a fait des émules partout dans le royaume et dans toute l’Europe.
– J’exècre cette tradition anglaise à s’entourer de mages quand l’Église seule suffit à conduire les âmes. J’ai aboli cette coutume en prenant le trône qui me revenait et veillerai de mon vivant à ce qu’aucun jamais ne paraisse plus à la table ronde.
– Prenez garde, messire, vous parlez
Weitere Kostenlose Bücher