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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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comme un moine, plaisanta Béatrice.
    Étienne sourit et, saisissant une idée soudaine, interrogea :
    – Qu’en est-il des relations de la reine avec cette damoiselle de Grimwald ? Quoi qu’en pense ce vieux « chacal » d’abbé, je n’aime pas savoir cette pucelle à la cour de France. Tant qu’il en restera une…
    Béatrice sentit remonter sa rancœur.
    – Son influence ne cesse de grandir, hélas, de sorte que je n’étais plus d’aucune utilité à mon protecteur auprès de la reine. Cette petite garce m’a éconduite sans autre forme de procès, et j’imagine assez qu’elle emploie quelque charme pour mieux asseoir son ambition.
    – Est-elle dangereuse ?
    – Bien davantage que Suger ne veut le reconnaître.
    Etienne de Blois se leva et arpenta la pièce de long en large. Béatrice se garda de troubler sa réflexion. De longues minutes s’écoulèrent en silence, rythmées seulement par le bruit des pas sur le plancher de bois.
    Le comte se planta enfin devant Béatrice :
    – Il faut exterminer cette racaille diabolique ! Suger est trop tendre. Moult fois je lui ai suggéré de faire disparaître cette poison, il n’a osé qu’une tentative d’enlèvement, soldée par un échec. Ce vieux fou est bien trop accaparé par son abbatiale pour mesurer le danger. Quant à Bernard de Clairvaux, il se désintéresse de tout ceci. Il vit dans le dépouillement le plus complet, n’accordant des biens aux chevaliers du Temple que pour réaliser son rêve de toujours, cette croisade pour délivrer le tombeau du Christ. Les querelles d’intérêt ne le touchent pas.
    – Avons-nous besoin de Suger et de Bernard de Clairvaux pour supprimer un cloporte ?
    – Certes non.
    Puis, comprenant que Béatrice avait déjà son plan, il se laissa choir dans son fauteuil et, étalant un sourire satisfait au milieu de sa barbe, il lança d’un ton apaisé :
    – Eh bien soit, damoiselle de Campan, je vous écoute…
     
    On se pressait par milliers aux portes de la ville. Bernard de Clairvaux attendait sans impatience que le concile soit achevé. La croisade avait été légitimée par le pape et il se préparait à haranguer une foule massive sur le tertre de Vézelay. Toute sa vie durant, il n’avait eu qu’une seule idée, reprendre aux Turcs le tombeau du Christ, pour dresser plus haut encore sa bannière et sa voix. Le fait que la reine de France eût souhaité deux ans plus tôt que vienne la délivrance lui était apparu comme un signe. Après avoir tant péché, cette idée ne pouvait lui être inspirée que par le Saint-Esprit lui-même. Il s’en était trouvé ragaillardi. La croisade rendrait à chacun l’humilité et la pénitence.
    Bernard ajusta sa robe, aidé par les moines attachés à ses pas. Les religieux de Clairvaux qu’il avait lui-même ordonnés lui vouaient une sorte d’adoration qui le laissait de marbre.
    Autour des remparts de la petite ville, il entendait se répondre des chants et des cris de joie. Il sourit et, un instant, eut la vision de Moïse debout sur la montagne étendant le nom du Père sur les ailes du vent.
    – Allons, mes frères, ordonna-t-il d’une voix tranquille.
    Le cortège s’ébranla.
     
    None sonnait lorsque Bernard de Clairvaux parut sur une estrade que l’on avait dressée sur le tertre. Autour de lui, une centaine de moines portant les couleurs de l’abbaye de Clairvaux étaient agenouillés.
    Le roi et la reine lui faisaient face, les genoux dans l’herbe. Derrière eux et du plus loin que portait le regard, sur les pentes de la colline, fleurissaient des visages recueillis, tendus vers sa silhouette, un murmure d’admiration sur les lèvres.
    Jamais encore, je n’avais vu le saint homme ainsi. Il était transfiguré, semblait immense et baigné d’une lumière qui me parut aussi intense que celle de Merlin. Un instant, je me sentis désarçonnée.
    Se pouvait-il que cette merveilleuse énergie soit une seule et même chose ? Je n’avais vu Dieu que comme un prétexte pour asservir les hommes faibles et c’était aussi l’enseignement que j’avais reçu. Au-delà de ce que les cléricaux en avaient fait au sein de l’Eglise, quelle pouvait être cette source si puissante, si apaisante, qui émanait de ces êtres exceptionnels nés et servant deux cultures aussi opposées ? Je n’avais pas de réponse. Merlin parlait d’amour et d’énergie créatrice. Dieu et l’Église m’avaient toujours semblé ne faire qu’un.

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