Le lit d'Aliénor

rapprocherait de sa dame par la même occasion.
    C’était en partie pour cette raison qu’il avait souhaité prendre la croix, pour se montrer à elle, non plus comme l’enfant qu’elle avait connu, mais comme l’homme qu’il devenait.
    – Allons, Henri, il nous faut rentrer porter notre chasse en cuisine.
    Tandis que le comte allait vers leurs palefrois, Henri se mit en devoir de chercher à quatre pattes son bonnet de feutre qu’il supposait s’être niché dans le buisson de genêts. Il le découvrit sans peine, accroché entre les fleurs jaunes. En tirant sur les branches pour le libérer, il ramena une tige couverte de fleurs piquée moqueusement sur le dessus. Au moment de l’enlever, il se ravisa et ajusta sur sa tête sa coiffe ainsi ornée. Il décida qu’il était son trophée. Ce jourd’hui, il venait de remporter sa première victoire. Il entrait dans le monde des adultes.
    Il tourna un nez fier vers le comte qui revenait. Celui-ci, avisé et complice, lui lança d’un air entendu :
    – Vous voici vous aussi plante à genêt, mon fils.
    Henri approuva de la tête, voilà qui lui plaisait bien. Henri Plante à Genêt, comte d’Anjou, de Normandie, et roi d’Angleterre !
     
    Quelques heures plus tard, jugeant que désormais il lui fallait se conduire en homme, Henri se rendit d’un pas décidé à la métairie de la Homquette, où il avait depuis peu remarqué le visage avenant de la fille de la maison, son aînée d’une année. Il la trouva dans la grange à brasser de lourdes envolées de foin à la fourche. Il la savait seule dans les parages. C’était jour de foire, et le père allait vendre ses cochons. Quant à la mère, occupée dans les champs, elle le laisserait tranquille.
    Il se planta devant elle, une grimace perverse au coin des lèvres, et lui ôta la fourche des mains. Sans méfiance, Francine le laissa faire. Ils se connaissaient depuis l’enfance. Lorsque Henri la coucha dans le foin, elle tenta de le repousser en minaudant, croyant à un nouveau jeu. Mais Henri ne jouait pas. Il arracha avec frénésie les lacets du corsage, retroussa les jupons et, d’un coup de reins violent, écarta la chair tendre. La petite poussa un cri de douleur et se débattit à coups de poing contre le torse épais, mais le géant la couvrait tout entière.
    – Cesse de geindre, vociféra-t-il, tu es engrossée par un roi !
    Dès lors, la jouvencelle se contenta de pleurer à petits hoquets, la douleur dans son ventre, tandis qu’infatigable et cruel son maître la besognait, le front baigné de sueur, le visage d’une autre au fond des yeux, fixant sans le voir le bonnet au brin de genêt qui dansait au milieu de la chevelure blonde et défaite de sa victime.

17
     
     
    Le bref de parchemin qu’Aliénor tenait entre ses mains fines la réjouissait. Jaufré lui annonçait qu’il serait des leurs, accompagné d’un jeune troubadour et d’un autre, échoué loin de la terre de France, cher au cœur de sa Majesté mais dont il préférait taire le nom.
    La reine ne douta pas un seul instant qu’il s’agissait de Bernard de Ventadour dont elle savait par la rumeur qu’il était en Italie. Que Jaufré ait pu l’avertir et le convaincre de rejoindre les croisés lui parut tenir du miracle, mais elle voulait croire que, pas plus qu’elle, Bernard ne l’oubliait. De plus, Louis ne pourrait rien dire à son encontre hors du royaume et elle se réservait le plaisir, à défaut du droit, d’avoir son ancien amour à ses côtés.
    L’autre nouvelle ranima des souvenirs lointains. La missive était de Raymond, son oncle, qui veillait sur Antioche depuis qu’il avait épousé la fille du roi Bohémond et espérait vivement que les époux royaux y séjourneraient. « La situation ici est inquiétante, disait-il, il ne se passe pas de couchant où l’on n’entende les chants des Turcs autour des enceintes de la ville. Hélas pour nous, ils sont comme des ombres et disparaissent à la lueur des torches. »
    Raymond, songea Aliénor en soupirant. Elle le reverrait avec bonheur. On prétendait son épouse d’une beauté sauvage, brune de peau et de cheveux, aux yeux d’un ébène bleuté. Aimait-il toujours sa nièce après tant d’années, ou n’était-elle plus qu’un souvenir que lui avait ravi le corps chaud de sa ténébreuse ?
    « Bah, nous verrons bien ! » Sur cette réflexion qui lui laissait en perspective les retrouvailles de deux amants du passé au lieu de