Le lit d'Aliénor
piqua les flancs de sa monture, qui se cabra avant de partir au galop.
– Jeune impétueux ! grogna le comte attendri.
Ce garçon lui ressemblait tant. En quelques encolures, il le rejoignit et, se plaquant sur la crinière de sa monture, s’empara de la bride du cheval d’Henri. Il donna un coup de reins pour se redresser, freinant par ce geste les deux chevaux en même temps. Henri s’en agaça, mais ne dit rien, trop heureux d’avoir obtenu si vite ce qu’il souhaitait.
– Nous n’avons point fini notre conversation, il me semble, l’apostropha le comte. Vous êtes fort avisé en effet, mais bien trop jeune encore pour affronter les Turcs, mon fils.
Relâchant ses rênes, ce fut lui qui, dans un cri, talonna sa monture et bondit de l’avant. Henri sentit un sang mauvais lui cogner aux tempes. Puisqu’il en était ainsi, il allait lui montrer, à ce noble vieillard ! Il éperonna son cheval méchamment et s’en fut au galop.
Pendant un moment, les deux hommes se suivirent dans une course folle qui les entraîna par-delà les champs, sautant des barrières et des ruisseaux. Puis les bêtes se fatiguèrent, et le cheval d’Henri, poussé cruellement, rattrapa celui du comte.
Avide de marquer sa supériorité, le jeune homme se redressa sur sa monture et plaqua son père. Les deux hommes roulèrent à terre dans un buisson de genêts, se tenant par le col. Henri avait une force hors du commun qu’il maîtrisait peu lorsqu’il était en colère. Toutefois, jamais il n’aurait levé la main sur son père. Leur jeu se limita donc à quelques épines dans les chairs et quelques fleurs égarées dans les mailles de leur haubert.
Le museau dans la floraison jaune, Henri se débattit un instant, mais la poigne de son père qui lui tordait le bras le força à demander grâce. Geoffroi le Bel était loin d’être fini. Il lâcha son fils et s’assit à même la mousse tandis qu’Henri reprenait posture plus noble, faisant jouer son poignet en de petits cercles pour apaiser les courbatures.
– Fort, vous l’êtes sans doute, commenta le comte, mais à la lutte, mon garçon, il vous manque quelques années. Je vous apprendrai ! acheva-t-il en gratifiant d’une solide bourrade l’épaule robuste.
Henri poussa un soupir et s’installa près de son père. Les chevaux paissaient à quelques pas.
– Je veux me battre, père ! se lamenta Henri en extirpant de ses chairs les épines qui s’y étaient incrustées.
– Qu’adviendrait-il, selon vous, jeune fou, si vous tombiez en Terre sainte ? demanda calmement le comte.
Henri haussa les épaules sans répondre. Geoffroi répondit à sa place :
– Ce pour quoi nous luttons, votre mère et moi, n’aurait plus de sens. Votre frère Geoffroi n’est pas de taille à porter couronne. Sans compter que l’on a besoin d’une épée ici. Il n’y aura pas un jour où vous n’aurez à défendre à ma place votre royaume promis et votre héritage contre votre malfaisant cousin. Il est un temps pour tout, Henri. Chacun de nous doit suivre la route qui lui est tracée. La mienne est vers Jérusalem, la vôtre se tourne vers l’Angleterre. Quant à vous battre, je gage sans mentir que vous aurez plus à faire que jamais.
Henri regardait à présent son père d’un œil nouveau. Sa colère était tombée et même il se sentait joyeux. Son enthousiasme n’avait envisagé que le moyen de se couvrir de gloire auprès des croisés pour donner panache à son épée. Mais sa mission était bien plus importante aux côtés de sa mère qu’il faudrait défendre. Non seulement il s’en sentait capable, mais il envisageait le moment où son père ne serait plus et où il faudrait porter son nom comme une bannière.
– À quoi songez-vous, mon fils ? demanda le comte devant son air béat.
– À nous, père ! Et à notre belle entente !
– Voilà qui me plaît mieux !
– Et elle, père ?
La voix s’était faite timide, d’un coup.
– N’aie crainte, mon fils. Damoiselle de Grimwald veillera à ce que le roi Louis ne revienne pas de Terre sainte.
Henri soupira. Comment avouer à son père qu’il ne rêvait pas de cette reine de France qu’il n’avait vue que deux fois lors de cérémonies officielles et qui lui semblait bien lointaine. Son cœur battait pour sa fée à lui, même si elle ne l’aimait jamais que comme son roi. Loanna de Grimwald ! Il songea amèrement qu’il épouserait Aliénor pour sa dot et se
Weitere Kostenlose Bücher