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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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s’effondrera sous le glaive ennemi dans une embuscade commanditée par le basileus. Moi seule en serai responsable, pour libérer Aliénor du mariage et lui permettre d’épouser Henri Plantagenêt, comte d’Anjou, auquel elle est destinée depuis longtemps, bien avant que son père ne meure, empoisonné sur les chemins de Compostelle par un des soudards d’Étienne de Blois. Mes ennemis sont nombreux, Jaufré, parce que j’ai pouvoir sur Aliénor et influe sur ses décisions, mais aussi parce que je suis née d’une race dont l’origine se perd dans la nuit des temps. J’ai reçu l’enseignement des grandes prêtresses d’Avalon et des druides. Nous sommes peu aujourd’hui à détenir ce savoir millénaire hérité de nos pères, ces survivants de la très ancienne île de l’Atlantide. Mes croyances ne sont pas les tiennes, elles viennent d’une autre lumière que celle de ton Dieu. Elles savent toutes les magies du monde et comment les utiliser pour préserver notre lignée. J’appartiens à mon devoir, celui pour lequel je suis née, et rien ne doit m’empêcher d’accomplir mon destin. Pas même l’amour d’un homme.
    – Pourquoi ne m’avoir rien dit ?
    – Parce que t’aimer me rend vulnérable. À travers toi il était facile de m’atteindre. Lorsque Béatrice de Campan s’y est essayée, j’ai compris que je n’avais pas le droit d’exposer ta vie, pas plus que je ne pouvais risquer de te perdre. T’éloigner, c’était te protéger et me garantir aussi. J’avais tort, je le sais aujourd’hui. Pardonne-moi le mal que je t’ai fait. Tu ne peux imaginer quelle a été ma souffrance, combien de fois j’ai dû lutter contre mon cœur déchiré par l’envie de te rejoindre. Pas un instant je n’ai cessé d’avoir les yeux sur toi, tandis que je m’interdisais, au nom de ce que je suis, d’avoir seulement besoin de ton sourire et de ta voix. Pas un instant je n’ai cessé de t’aimer, repoussant sans relâche les autres hommes quand mon ventre appelait la caresse, pour ne pas cesser un instant, un seul, d’être tienne.
    – Une fée…
    – Qui fait du mal quand elle ne voudrait que le bien.
    Il esquissa un sourire léger comme une brise. Il tourna vers moi son visage creusé, et je lus dans ses yeux les larmes que je n’avais pas senties couler sur mes joues. Je murmurai doucement, comme une prière :
    – Je t’aime.
    – Comment as-tu pu douter de moi au point de me cacher cela pendant dix années ? soupira-t-il douloureusement.
    – Sans doute avais-je peur, au-delà de tout ce que tu peux imaginer. Peur que tu ne me rejettes, peur de n’être pas digne de toi ou encore de faillir à mon devoir. Peur de moi. Rien n’est jamais simple, Jaufré.
    – Denys sait-il pour le roi ? demanda-t-il enfin.
    – Oui.
    – Il ne t’a pas trahie…
    – Il sait que ma cause est juste.
    – Et sur quoi se fonde-t-il pour déterminer si la mort d’un homme est juste ou non ?
    – Sur l’acharnement de mes ennemis à me perdre, depuis qu’ils ont assassiné le duc Guillaume pour qu’il ne rende pas publiques les fiançailles de sa fille avec le futur roi d’Angleterre. Je dois à sa mémoire de lui rendre justice.
    – Qu’en pense Aliénor ?
    – Elle ne sait rien.
    Il y eut un silence, dans lequel passèrent des cris stridents d’oiseaux de mer. Un son de corne déchira la lumière brûlante qui embrasait de sang l’étendue du ciel et de la baie. Puis il glissa un bras lourd autour de mes épaules et m’attira contre lui. Mon cœur se gonfla d’un bonheur sauvage.
    – Faut-il que je sois fou pour accepter pareil héritage, dit-il à mon oreille. Faut-il que je sois fou pour t’aimer ainsi. J’ai toujours su que tu n’étais pas comme les autres, soupira-t-il en cherchant mes lèvres.
    Sa bouche avait un goût de larmes, mais peut-être était-ce la mienne. Peu importait au fond. Plus rien désormais ne pouvait nous séparer. Je n’avais plus à mentir, à tricher. Le sourire de Denys vint cueillir ma pensée.
    « Merci, pensai-je, merci mon doux ami, sans toi je n’aurais jamais eu le courage. » Très loin au-dessus des nuages il me sembla voir un visage qui nous regardait, celui de Marjolaine, dont les yeux pétillaient de tendresse, puis, aussi doucement qu’il était apparu, il s’effaça dans l’ovale grandissant du jour.
     
    Manuel Comnène se montra courtois et attentionné, comme si rien ne s’était passé lors de notre

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