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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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en effet notre hôtesse planter ses dents et dévorer le fruit tel quel, mais, pour ma part, je trouve l’écorce bien plus délicieuse en entremets, confite, ou en zeste dans le sucre candi.
    Il me tendit l’orange dont le jus coulait entre ses doigts fins, et je mordis dans la chair à pleine bouche.
    – Il est certain qu’elle a bien plus de parfum que celles de ton pays de Blaye.
    Une pointe de nostalgie nous saisit tous deux à cette évocation.
    – Te souviens-tu, Jaufré, murmurai-je, de cette première nuit dans les draps qui sentaient bon ces parfums qui nous enivrent aujourd’hui ?
    – Comment pourrais-je l’oublier, ma douce ?
    – C’était la première fois que je découvrais les vertus des orangers et voilà qu’aujourd’hui ils nous font un dôme.
    J’enroulai mes bras tendrement autour de son cou, dans une invitation à l’abandon, pendant que quelque part Aliénor et Bernard consommaient leur étreinte.
    – Eloignons d’abord les eunuques, dit-il en m’enlaçant.
    Je tournai la tête pour découvrir avec étonnement que nous étions déjà seuls.
    – Bah, s’amusa Jaufré, ils auront sans doute compris que nous n’avions plus besoin d’eux.
    Sa bouche prit la mienne si voluptueusement que je me sentis fondre de plaisir. De sorte que je ne pris pas garde au bruissement des feuilles autour de nous. Ce n’est qu’en entendant le choc que j’ouvris les yeux. Jaufré s’écroula comme une poupée de chiffon entre mes bras, m’arrachant un cri de frayeur. Cinq guerriers turcs solidement armés nous encerclaient. Avant que j’aie pu réagir, ils se saisirent de moi. En un instant je fus bâillonnée et jetée sur une épaule massive. J’eus beau me débattre, rien ne fît lâcher le géant, tandis que, talonné par ses complices, il allongeait un pas de course vers la porte qui s’ouvrait sur le désert.
    Ballottée dans cette posture, je vis avec terreur le corps de Jaufré effondré à même la terre. J’aperçus encore les silhouettes d’Aliénor et Bernard qui accouraient, alertés sans doute par mon cri de terreur, puis mon regard éperdu n’accrocha plus que le sol. On me coucha en travers d’un cheval à la robe plus noire que l’ébène, et je vis s’éloigner, dans un halo de poussière de sable, les remparts blancs de la ville.

3
     
     
    L’intérieur de la grotte était glacial. On m’avait adossée contre la paroi ruisselante et peu à peu s’infiltrait en moi la froidure de l’eau qui suintait. La nuit endormait lentement la plaine et, de ma posture malheureuse, j’en apercevais un filet serti dans des écharpes de brume. On n’avait pas desserré mes liens ni même ôté ce bâillon qui m’écrasait les lèvres. J’ignorais ce que ces hommes attendaient, mais cela faisait plusieurs heures qu’ils étaient assis en cercle, jouant à un jeu que je ne connaissais pas, sans plus se préoccuper de moi que d’un rocher. Il était évident qu’ils étaient turcs, mais pas un instant je ne doutai que leur initiative soit celle d’un seul homme. Et je devinais sans hésitation qui se cachait derrière cette traîtrise.
    Je m’étais tout d’abord sentie désespérée. L’image de Jaufré m’avait poursuivie durant tout le temps qu’avait duré le galop effréné des chevaux, jusqu’aux montagnes. Une heure, peut-être deux, je n’en avais pas vraiment idée. Le sable qui voletait autour de mon visage m’avait obligée très vite à respirer par saccades, le front cognant sans relâche les flancs musclés et humides du cheval. J’avais eu peur, puis une certitude m’était venue. Jaufré était vivant, j’en étais sûre, et devait en cet instant s’effarer auprès d’Aliénor et de Bernard de la soudaineté de l’attaque. Ils en avaient sûrement rendu compte au basileus qui, les ayant assurés de son étonnement, avait mis en branle ses gens pour partir à ma recherche. Paroles de fourbe ! Il ne ferait rien d’autre que brasser du sable pour donner l’illusion. D’ailleurs, tout n’était qu’illusion à Constantinople.
    La nuit était froide à présent et recouvrait entièrement le plateau. Un des sbires se leva et prononça quelques mots qui ressemblaient à des ordres. Lors, le groupe s’activa, comme si brusquement, après ces longues heures d’immobilité, il fallait se hâter. On me souleva comme un vulgaire fétu de paille et me jeta sur une épaule massive. L’odeur de cuir âcre qu’elle dégageait m’indiqua

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