Le lit d'Aliénor
doucereuse me fit sursauter. Le basileus était entré à son tour, discret comme un chasseur qu’il était, faisant à peine frissonner les lourdes tapisseries au mur. Je lui souris, frappée par son élégance. Il était habillé à l’orientale d’une vaste chemise qui dévoilait un torse viril et foncé, ceinturé par un de ces gilets courts rehaussés de fils d’or en arabesques. Un saroual vert pomme arrondissait des jambes musclées jusqu’aux pieds chaussés de babouches. Il était superbe.
– Il est vrai que je ne m’attendais pas à pareil accueil, murmurai-je tandis qu’il s’avançait vers moi.
– Asseyons-nous, voulez-vous ?
Le ton était enjoué, prometteur. Je dus me faire violence pour ne pas sortir de la pièce. Cet homme, malgré tout son charme, me répugnait. Je hochai la tête, mais au lieu de m’en remettre au moelleux de la banquette qui risquait fort de me perdre, je m’assis sur un tabouret aux pieds croisés en X. Le basileus s’amusa de ce qu’il prit pour quelque coquetterie française. Notre réputation était de jouer les précieuses pour mieux nous faire aimer. Dans un premier temps, cela me servait.
Je fis glisser de mon doigt la bague et la lui tendis en souriant.
– Quelqu’un m’a chargé de vous remettre ceci, qu’il supposait à votre goût.
Son sourire se figea un instant et je compris qu’il venait de saisir le véritable but de ma visite. Sa déception ne dura pas. Il saisit délicatement le bijou, laissant ses doigts s’attarder sur les miens, puis alla s’asseoir en tailleur sur le divan.
– Je vous écoute, murmura-t-il.
– Il semble, Votre Illustrissime, que des rumeurs courent jusqu’en nos murs et que vos alliances avec ces Turcs contre lesquels l’ost royal s’est mis en croisade ne font aucun doute.
– Bruits de corridor, se défendit-il en souriant.
Son regard glissa sans vergogne sur mon décolleté.
– Et s’il me plaisait, à moi, que ces termes soient exacts…
– En ce cas, je ne saurais risquer de vous déplaire, douce colombe. Qu’attendez-vous de moi ?
– Les Turcs ne vous pardonneront pas d’avoir approvisionné leurs ennemis, à moins de conclure avec eux quelque arrangement. J’ai dans l’idée que vous avez déjà dirigé l’empereur Conrad, votre illustre beau-frère, vers des territoires qui manquaient de sécurité…
Un éclair passa dans son regard, qui confirma mon propos. J’avais marqué un point. Le basileus devait se demander d’où je tenais mes informations, mais il se contenta de m’inviter à poursuivre.
– Il me paraît évident que cette croisade vous sert pour des raisons économiques, car vous vendez à prix d’or les marchandises dont nous avons besoin. Cependant, elle nuit à vos marchandages et, pis encore, à vos amis. Or il suffirait de peu pour qu’elle n’atteigne pas sa destination. Que le roi de France succombe briserait bien des élans, ne pensez-vous pas ?
– Quel intérêt y auriez-vous ? Vous, une fervente chrétienne ?
– Je pourrais vous retourner le compliment, Votre Illustrissime.
Il sourit de nouveau, dévoilant des dents d’un blanc de perles.
– Soit. Peu m’importent vos motifs tant votre beauté pareille à ces fleurs rares et délicates embaume le parterre de mes sens. Vous voulez la mort du roi de France, mais ce n’est pas chose aisée, vous en conviendrez.
J’avais déjà songé à cela et entrevu l’endroit propice à l’aide de quelque magie. Il ne se trouvait pas pour l’heure sur notre itinéraire, mais si j’ignorais encore pourquoi, je savais que nos pas nous y mèneraient. Ma réponse fusa aussitôt :
– Il est des défilés dans les gorges de Pisidie où il serait facile de tenter une embuscade. Je me fais fort d’isoler le roi avec l’arrière-garde. À la seule condition que vous m’assuriez la vie sauve pour la reine Aliénor et ceux qui franchiront la passe dans son sillage en avant-garde.
– Et qu’adviendra-t-il ensuite ?
– La reine et le reste de son armée rejoindront Antioche, d’où ils embarqueront pour regagner la France.
– Cela me paraît trop bien pensé pour une aussi charmante personne. Mais, douce et merveilleuse fleur au jardin de mes délices, qui vous permet de croire que les Turcs ont besoin de vos manigances pour défaire l’armée de votre bon roi ?
Il étalait un rictus de plaisir dans la fossette de sa joue droite. Je le cueillis avec une lueur de malice au creux de
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