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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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les yeux et je la vis tourbillonner sur elle-même. Elle semblait jaillir de la terre, au pied de la fontaine de Baranton. Lentement, elle prit forme, et un être de lumière se modela du sol vers le ciel.
    La longue robe de Merlin inondait à présent le parterre de multiples ruisseaux d’eau pure, à l’endroit où elle reposait en de fines racines. J’admirais avec une infinie tendresse cette cascade étincelante dont le regard d’amour de l’être sans âge semblait à lui seul être la source.
    Il avança vers moi ses longs bras de gouttelettes.
    – Me voici, mon enfant, ainsi que tu le souhaitais, murmura à mes oreilles la voix musicale de l’Enchanteur. Approche…
    Drapée de ma nudité comme d’un habit de baptême, je descendis de mon siège et m’avançai vers mon aïeul. J’entrai face à lui dans le cercle d’opale et la lumière vint me sertir d’un manteau de diamants et de soleil. Merlin me prit la main gauche et la posa à l’endroit de son cœur. Aussitôt, les puissances bénéfiques de sa magie éclatèrent en moi.
    – Voici tout ce qu’il te restait à savoir, dit-il simplement. Tu es désormais prête pour affronter demain. Ne sous-estime jamais la cupidité et l’obscurantisme de l’Église. Elle a prétendu les pouvoirs druidiques néfastes et diaboliques quand elle aurait dû œuvrer pour leur respect et leur connaissance. L’asservissement des peuples par cette foi aveugle qu’utilisent ceux qui gouvernent l’Église ne peut être en accord avec les mouvements de la terre, de l’air, des eaux et du feu céleste. En étant à l’écoute de l’énergie cosmique, c’est à l’écoute des hommes et de la vie que tu te mets. Là est la véritable magie : en apprenant à utiliser les forces qui t’entourent et que tout être vivant sécrète par sa seule existence. Souviens-t’en, mon enfant, quand l’heure viendra où tes choix devront aller non dans le sens des enseignements cléricaux, mais dans celui logique et intuitif du bien commun. Va à présent, mon enfant. Avec cette pierre de lune dont tu ne devras jamais te séparer, je lie le destin de l’Angleterre à ta propre existence. Je sais que tu en seras digne. Va.
    Je portai à mes lèvres tremblantes d’émotion la main illuminée de Merlin, puis, sachant que le charme serait bientôt rompu, retournai m’allonger sur le dolmen, épuisée de toute cette connaissance qui m’avait pénétrée. Là, je sombrai dans un sommeil aux rêves de cristal, la pierre de lune en pendentif tout contre mon cœur.
    Nous étions le 8 mars 1137. Aliénor, la jeune duchesse d’Aquitaine, se trouvait dans un état d’agitation extrême. La veille, son père lui avait annoncé la visite à Bordeaux de la filleule de Mathilde d’Anjou, et cela la grisait. Comment aurait-il pu en être autrement ?
    Les mièvreries de ses amies l’ennuyaient à mourir. D’ailleurs, depuis le départ de Raymond pour Antioche où il était promis à la fille du roi Bohémond récemment disparu, elles lui semblaient toutes insipides. Le fait est que Raymond lui manquait atrocement et, plus encore que lui, cette sensation nouvelle qu’il avait fait naître au plus profond de son ventre, une fois, une seule fois lors de cette nuit au monastère de Belin.
    Dès le lendemain, Raymond s’était éloigné d’elle, quittant autant qu’il lui était possible le palais pour éviter de rencontrer au détour d’un mur son corps offert. Il ne pouvait plus supporter de vivre dans son sillage, de respirer son parfum de rose et d’iris, de songer à sa chair tiède et à son interdit. Quelques mois plus tard, il se hâtait vers Antioche, vers son destin d’homme et vers une autre femme, espérant y consumer la brûlure de son âme.
    Aliénor ne lui en voulait pas. Elle savait combien leur amour était insensé, et sans doute était-ce cela plus que Raymond lui-même qu’elle aimait. Elle se demandait par instants lequel, de l’homme ou de la caresse, son corps regrettait le plus. Parfois, elle découvrait impudiquement ses formes voluptueuses devant le miroir et songeait que Raymond les aurait aimées ainsi transformées. Elle passait par jeu un doigt sur ses seins durs et ajoutait à voix haute, comme un défi au reflet de sa peau :
    – D’autres que lui l’aimeront !
    – C’est un honneur pour moi, duchesse !
    Je me courbai avec respect devant son minois rieur. Aliénor avait les yeux pétillants et hautains, de ceux dont on se dit

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