Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
Vom Netzwerk:
sculptée, et la musique, qui n’était qu’un murmure, explosa à mes oreilles : cithares, luths, flûtes, tambourins, violes se mélangèrent un instant encore, puis s’arrêtèrent brusquement, laissant place aux révérences des troubadours pour leur muse. Aliénor leur lança, en me désignant :
    – Messires, la voici. Chantez ses louanges, mais n’en oubliez pas les miennes pour autant.
    Aussitôt, tel un essaim d’abeilles, je vis la dizaine de musiciens s’agenouiller à mes pieds, baiser le bas de ma robe, s’éloigner de quelques pas pour mieux me contempler, pincer quelques cordes, lancer des vocalises dans une agitation étourdissante. Amusée, Aliénor alla prendre place sur un fauteuil surélevé habillé d’un velours grenat, sans un mot pour les autres damoiselles alanguies sur des coussins. J’allais crier grâce, quand un battement de mains imposa silence.
    – Je vous ai demandé de la charmer, pas de l’étourdir, clama la voix ferme de la duchesse. Allons, Loanna de Grimwald, venez à mes côtés, ces damoiselles vous feront une place. Quant à vous, messires, jouez, divertissez-nous.
    Je m’installai sur le banc que me céda à contrecœur une brunette fade au regard de chien battu. Et, tout en songeant combien ce pays était doux, je me laissai emporter par le velouté de la musique.

4
     
     
    – Peut-être serait-il sage que tu ailles rendre hommage au duc Guillaume. Ta châtellenie t’a été rendue et tes terres sont prospères.
    Jaufré sourit vaguement :
    – Sans doute, Uc, mais je répugne à me courber devant lui.
    – Fais donc fi de ce ridicule sentiment. Ton isolement n’a que trop duré, s’emporta affectueusement le vieil homme. De plus, la cour d’Aquitaine reçoit les plus grands troubadours de ce temps. N’as-tu point envie de sortir de ces murs et d’aller chanter tes vers devant la plus jolie des damoiselles du pays ?
    Jaufré se leva, piqué au vif par un irrépressible dégoût. Il grommela entre ses dents serrées :
    – La plus belle certes, mais aussi la plus cruelle ; narquoise et hautaine comme l’était son grand-père. Elle rira de mes chants, de mes rêves, pour m’humilier ainsi qu’il l’a fait avec mon père.
    Jaufré le troubadour, comte de Blaye, au nord de Bordeaux, tournait comme un lion en cage dans la haute tour de son château surplombant l’estey. Depuis la fenêtre largement ouverte, il voyait les îles proches bercées par le ressac de la marée montante, et les bateliers au pied des remparts héler leurs éventuels passagers d’une voix forte. La brise marine charriait un parfum de large et de liberté qui chatouillait les sens du jeune troubadour.
    Uc le Brun, comte de Lusignan, poussa un soupir de tristesse.
    « Que de vitalité gaspillée, pensa-t-il. Que de talent en sommeil qui n’exhale rien que les parfums de la nuit. »
    Vidant son verre de verjus, il se leva à son tour et glissa son pas derrière la silhouette immobile devant la croisée. Il posa une main paternelle sur l’épaule, la sentit s’affaisser sous sa poigne bourrue.
    – Jaufré, murmura-t-il d’une voix gutturale, mon affection pour ton défunt père me fait te considérer tel un fils, tu le sais. Je répugne à repartir en te sachant amer. Il faut oublier les querelles anciennes, se tourner vers l’avenir. Tu n’es pas fait pour te battre, mais pour chanter la vie, l’amour, et ces gestes qui font s’envoler les rires. Depuis ton retour voilà ce jourd’hui trois années, tu as réussi des miracles sur cette terre qui est tienne. Pas un de tes vassaux ne manque de quoi que ce soit, et moi-même ne puis en dire autant dans mes campagnes. Tu es acclamé de partout, reçu non comme un seigneur, mais comme un ami tant tu as brisé d’injustes coutumes qui pesaient sur tes gens et les réduisaient à la misère. Je voudrais avoir ta droiture et ta justesse quand mes élans belliqueux m’entraînent à souhaiter plus et mieux que je ne possède. Pour tout cela je t’envie, mais, pour ton regard que je vois s’éteindre de plus en plus à chacune de mes visites, je me sens triste et riche de tout ce qui te manque. Tu as besoin d’aimer, Jaufré, d’aimer avec ton âme, comme j’adore Sarrazina mon épouse, et non comme tu le fais, avec ton corps, cherchant l’oubli dans des caresses brutales. Crois-moi, mon ami. Va au-devant de ton rêve. Alors, tes vers chanteront mieux et plus intensément.
    – Aimer Aliénor ? Tu es fou,

Weitere Kostenlose Bücher