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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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qu’ils pourraient faire marcher le monde à leur caprice. Elle était belle, et son regard qui me détaillait avec un plaisir non dissimulé me valorisait plus que je n’aurais pu m’y attendre. Je lui plaisais. Je redressai la tête et lui souris de connivence. Aussitôt un rire carnassier franchit ses dents, et, me tendant une main franche et amicale, elle lança d’une voix enjouée :
    – Je sens que nous serons, vous et moi, les meilleures amies du monde !
    Puis, à l’intention de sa suite, ordonna :
    – Allons, damoiselles, faites bonne figure à notre invitée.
    Je saluai les jeunes filles autour d’elle, visiblement moins ravies que la duchesse de mon intrusion dans leur comité. Elles m’accueillirent pourtant selon toute bienséance. Sans plus s’occuper d’elles, Aliénor me saisit le bras avec une autorité dont il était évident qu’elle jouait à satiété et m’entraîna le long d’un corridor somptueux en m’expliquant :
    – Je vais vous conduire personnellement à vos appartements. Vous verrez, Bordeaux est une ville merveilleuse, tout ici est léger et gai. Ne vous inquiétez pas de ces péronnelles, elles n’ont aucune saveur. Ici les troubadours chantent la joie, quand elles ne sont que fardeau. Vous allez m’égayer, ma chère. Mais je parle, je parle, quand je voudrais tout savoir de vous. Père me disait que vous étiez d’origine anglaise, est-ce vrai ? Les taches de rousseur sur vos joues en sont caractéristiques…
    Je la coupai d’un ton moqueur :
    – L’air ne vous manque-t-il point ?
    Elle s’arrêta et me regarda sans vouloir comprendre :
    – Oseriez-vous…
    – Insinuer que, pour vous répondre, il me faudrait le temps de parler ? Oui, je l’avoue, terminai-je en plaisantant.
    Elle se demanda un instant si elle devait rire ou s’offusquer, puis pencha pour ce naturel joyeux qui était le sien et répliqua :
    – Je sens décidément que votre compagnie me sera un délice…
    – Est-ce donc mon silence obligé qui vous plaît tant ?
    – Plutôt votre impertinence. Aucune de ces sottes n’aurait osé me parler ainsi. D’ailleurs, elles ne sont que caquetage sans intérêt, de sorte que je n’ai plus aucun plaisir à dialoguer.
    – Voilà pourquoi vous monologuez en ma compagnie.
    – Oh, pardon, pardon ! Je suis tellement surprise et heureuse de notre entente. Regardez.
    Elle me montra à travers une fenêtre la ville qui respirait. Le palais de l’Ombrière, dominant les rives de la Garonne, était un vaste bâtiment carré flanqué d’un donjon rectangulaire, que l’on surnommait l’« Arbalesteyre », et de deux autres tours reliées par une coursive. Autour de lui, Bordeaux s’articulait avec grâce, son fleuve semblant se dérouler comme un serpent entre les terres. De là, je pouvais voir grouiller en bas une multitude de gens, d’échoppes, de commerçants, de mendiants.et même de bateleurs. Il régnait à Bordeaux une animation comme jamais je n’en avais connu auparavant.
    – De l’Arbalesteyre, m’expliqua Aliénor, où se situe votre chambre, on distingue loin en aval, vers Blaye et en face vers le Médoc. Je l’ai choisie moi-même. Je suis sûre à présent qu’elle vous plaira.
    Aliénor, sans attendre de réponse mais je commençais à trouver cela normal, m’entraîna dans un autre dédale de corridors et d’escaliers aussi richement décorés que les précédents. Puis elle s’arrêta devant une porte et, cérémonieusement, poussa le lourd battant de bois.
    Comme l’aurait fait une servante, elle s’inclina pour me laisser entrer. Je restai bouche bée devant la vaste pièce qui n’avait aucune commune mesure avec celle du donjon de mon enfance. C’était un havre de bon goût et de chaleur. Au centre de la chambre trônait un lit immense, très haut, dont les montants sculptés d’aigles et de serpents se rejoignaient sur les traverses en un bouquet floral. Des tapisseries représentant des scènes courtoises égayaient les murs de leurs teintes chaudes.
    Par terre, on avait disposé avec soin un damier de menthe et de sauge, que reprenait un vase d’argent sur une coiffeuse ornée d’un miroir. Une bassine du même métal attendait, emplie d’eau de mélisse, que j’y fasse ma toilette, et d’une malle au couvercle relevé s’échappaient des robes et des coiffes de velours et de dentelles, de voiles et de pierres précieuses. Jamais encore je n’avais vu pareille

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