Le lit d'Aliénor
magnificence.
« C’est la chambre d’une reine », pensai-je.
J’avais entendu maints ragots sur la richesse du duché d’Aquitaine, mais tout cela dépassait mon imagination la plus folle.
Aliénor paraissait aux anges. Ses présents faisaient sur moi l’effet qu’elle avait escompté.
– Aimez-vous ? me demanda-t-elle, impatiente, sans vraiment douter d’elle.
– C’est… majestueux !
Même ce terme-là me semblait fade à côté de tout ce dont mes yeux se régalaient.
Elle pirouetta sur elle-même, légère, en battant des mains comme une enfant. Je me surpris à me demander laquelle des deux, de la femme qu’elle passait pour être ou de l’enfant à laquelle elle ressemblait, me plaisait le plus. J’optai pour son espièglerie et l’embrassai sur la joue avec reconnaissance. Son regard devint brûlant. Un instant nous nous dévisageâmes en silence, puis elle s’approcha du lit, féline, et, me lançant une œillade taquine, me dit :
– Je l’ai fait sculpter par l’ébéniste du palais. Comment le trouves-tu ?
Le tutoiement était venu brusquement, sans doute né de mon baiser.
– Il est beau. Tout cela est nouveau pour moi, duchesse, et je sens que je vais me plaire ici.
Elle hocha la tête. Je ne comprenais pas exactement pourquoi, mais son comportement soudain n’était plus celui d’une enfant, elle paraissait troublée, moins exubérante.
« Je n’aurais pas dû l’embrasser », pensai-je.
Mais cela m’avait semblé tellement naturel.
Aliénor reprit en souriant, comme si, de me voir pensive, elle avait retrouvé son éloquence :
– Père m’a affirmé que tu aimais les oiseaux. Dans les Pyrénées toutes proches, on peut voir des aigles qui s’enivrent des sommets, ils sont si libres. Voilà pourquoi je les admire. Les affectionnes-tu, Loanna de Grimwald ?
– Je n’en ai jamais vu, mais je crois, oui, que je les aimerais.
– Un jour, nous irons. Je demanderai à père de nous fournir une escorte et nous partirons en montagne. Pour l’heure, il te reste à découvrir ce qui donne tout son sens à l’harmonie de cet endroit. Mes troubadours sont dans la salle de musique, ils célébreront tes yeux et ta chevelure. Nul doute qu’avant longtemps tu deviendras l’une de leurs chansons.
– Crois-tu ?
Elle hocha la tête, un sourire malicieux au coin des lèvres. Puis, frappant dans ses mains, elle appela, dans le silence qui était retombé :
– Camille !
Aussitôt, une jouvencelle à peine plus âgée que nous souleva le pan d’une courtine qui masquait une ouverture et vint s’incliner devant moi.
– Ici, toutes mes dames de compagnie ont une chambrière. Camille est à ton service. Elle loge dans le réduit qui jouxte cette chambre. Commande selon tes désirs et tes besoins, elle t’obéira.
– Que Dieu bénisse votre séjour en nos murs, baronne, récita la bouche pulpeuse de Camille.
Son sourire franc et jovial qui creusait deux fossettes de part et d’autre de ses joues, son regard de chat et son embonpoint me plurent aussitôt.
– Levez-vous, dis-je simplement, peu habituée à avoir mes propres servantes.
Camille obtempéra, mais demeura figée dans l’attente d’un ordre. Je ne sus que lui dire. J’aurais préféré cent fois être libre de mes mouvements comme à Brocéliande, mais cela aurait froissé mon hôte. De fait, je me trouvais gourde de ces conventions que j’exécrais. Aliénor ne s’en aperçut pas. Avec une condescendance déconcertante, elle ordonna :
– Tu peux te retirer, Camille. Damoiselle de Grimwald n’a plus besoin de toi. Allons à présent, enchaîna-t-elle en me prenant la main, s’il est une chose dans ce palais qu’il ne faut jamais, jamais, faire attendre, c’est la musique.
Aliénor me devança. La porte se referma sur mon nouveau royaume, barrée par Camille après notre sortie. L’amitié aussi était quelque chose d’inhabituel pour moi. L’Aquitaine et sa duchesse possédaient un charme certain qu’il allait me falloir contrôler, si je ne voulais pas en devenir l’esclave et oublier ma mission.
Nouveau dédale de couloirs. Il m’arriverait sans doute plus d’une fois de me tromper de chemin. Les visages que nous rencontrions se courbaient tous sur le passage de la jeune femme, excessivement à mon goût, mais cela semblait être de coutume.
Parvenue sans mot dire au terme de son périple, Aliénor poussa les deux battants d’une lourde porte
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