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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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Elle fouilla les alentours et trouva un vieux mantel dans lequel des rats avaient niché. Surmontant sa répulsion, elle s’en était couverte pour dissimuler ses atours, puis s’était cachée de son mieux, s’éloignant dès qu’on s’approchait d’elle. Par chance, le tonneau qui l’avait cachée avait contenu du poisson et l’odeur qu’elle dégageait n’attirait guère. Au bout de deux jours, elle ressemblait à une de ces mendiantes qui hantent les rues. Comme elles, elle tendit la main, fouilla dans les ordures pour se nourrir, l’oreille aux aguets. Une seule pensée l’obsédait : atteindre Antioche ! Une semaine s’écoula ainsi, puis, un matin, elle entendit deux marins parler de leur embarquement pour sa Terre promise. La nuit venue, elle se glissa dans les cales du navire qu’on avait chargé et s’oublia.
    Elle n’était plus que l’ombre d’elle-même lorsqu’elle parvint aux portes de la ville. Nous rejoindre lui avait coûté son dernier effort. À présent, c’était comme si sa raison se perdait dans cette confession. Comme si de l’avoir baignée, toilettée et nourrie avait d’un seul coup annihilé son instinct de survie. Elle pleurait en poussant des cris qui nous glacèrent d’effroi. Puis elle sombra dans un délire où son corps secoué de spasmes fiévreux nous amena à attendre le pire. Deux jours passèrent ainsi. Lorsque Sibylle recouvra-son calme, son regard n’était plus que vide et oubli. Elle nous reconnaissait à peine. L’apothicaire de Raymond insista sur un long repos et beaucoup de patience. Elle avait été choquée au-delà du possible. Il faudrait du temps.
    Durant ces deux jours, je m’occupai davantage d’elle que de Jaufré ou de moi. Ce fut le roi qui me l’annonça : Étienne de Blois s’était écroulé sur son assiette la veille. Une méchante fièvre le clouait au lit, mettant ses jours en danger Louis avait ponctué sa nouvelle de ces mots terribles :
    – Qui sème le vent récolte la tempête !
    Curieusement je les pris à mon compte. Qu’avais-je semé à Constantinople pour avoir signé l’arrêt de mort de tous ces malheureux ? Le basileus avait-il cru m’enlever avec nos compagnes ? Avait-il agi par pure vengeance, puisque ni le roi ni moi n’étions morts ? Ou avait-il simplement vendu un bon prix ces peaux blanches et ces minois rieurs dont se repaissaient désormais les Turcs dans leurs harems ? On nous avait servi une méchante fable en prétendant la nef du basileus disparue corps et biens. Tout n’était que fourberie. Quel rôle avait pu jouer dans tout cela l’homme qu’on avait assassiné à ma porte ? Il avait en sa possession la bague de ma trahison. L’avait-il reçue en échange de la sienne pour perdre nos compagnes ? Toutes ces questions me torturaient d’autant plus que je savais que jamais je n’aurais de réponse. Il était temps de partir d’Antioche. L’atmosphère y devenait empoisonnée. Pour comble, Aliénor s’était mis en tête de rester auprès de son oncle. Folie ! Tout n’était que folie !

6
     
     
    Béatrice tournait et retournait, écrasant sous ses pas agacés le luxueux tapis qui s’ornait d’une scène de chasse au faucon. Elle avait fait venir l’homme de main d’Étienne de Blois dans sa chambre, mais depuis qu’il était là, prêt à prendre ses ordres, elle ne savait plus lesquels donner. Elle avait tant compté sur le jugement de Dieu pour m’écraser définitivement qu’elle se sentait désarmée, comme si le Tout-Puissant Lui-même désavouait sa vengeance. Les nouvelles étaient mauvaises. Etienne de Blois n’allait pas mieux et il avait fallu que Sibylle réapparaisse.
    Mais cela n’était rien. Louis ne l’avait pas mandée depuis ce fameux jour ; pis, il semblait l’éviter. Agacée, elle l’avait fait suivre et avait découvert qu’il se rendait souvent au chevet de la comtesse de Flandres où je me trouvais aussi. J’avais gagné des faveurs qu’elle-même n’avait plus.
    Des larmes de colère lui montèrent aux yeux. Elle en avait assez !
    Brusquement résolue, elle se planta devant le balafré et, serrant les poings à en avoir les jointures des mains blanches, elle grommela entre ses dents de perle :
    – Amenez-moi Loanna de Grimwald !
     
    Un frisson me parcourut l’échine lorsque je vis s’avancer vers moi la haute stature de mon tourmenteur. Anselme de Corcheville m’inspirait toujours le même sentiment de panique.

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