Le lit d'Aliénor
promesses et de caresses.
Elle lui lança un regard noir, puis, jugeant qu’il n’était plus temps d’accroître le ridicule de la situation, rejeta loin d’elle la couverture. Indifférente à leurs yeux baissés, elle revêtit sa robe de soie bleue, cette même robe que Raymond avait amoureusement fait glisser sur ses hanches. Elle frissonna, envahie soudain par un froid glacial. Mais peut-être n’était-ce que le souffle du silence qui pesait comme une menace, davantage encore que ne l’auraient fait des cris ou des injures. Louis attendait et Raymond ne bougeait pas.
– Allons-y, Sire, jeta-t-elle à Louis en retenant des larmes amères de désillusion.
Une fois de plus, Raymond l’avait abandonnée. Sans un regard vers lui, elle sortit du pavillon de chasse qui depuis deux semaines abritait ses amours interdites. Comme elle allait regretter l’asile de ces murs de torchis ! Louis lui saisit le bras ; elle se laissa entraîner au-devant du sentier, redressant fièrement la tête, serrant les dents.
Après tout, elle était toujours reine de France. Allait-il dégainer cette épée qu’il portait au fourreau et la transpercer au plus secret de l’ombre ? Elle sentait sourdre en lui une rage profonde.
Louis arrêta son pas dans une clairière où les attendait son cheval. Aliénor remarqua que le sien, qu’elle avait rentré dans l’écurie de la bâtisse, était attaché par les rênes à un arbre. Cela la fît sourire. Ainsi, Louis avait eu le courage de se soucier de ces détails avant de les interrompre. Pourquoi leur avoir laissé le temps de s’aimer quand il aurait pu faire irruption dans la pièce et empêcher que cela n’arrive ? Depuis combien de temps était-il là, tapi ? Les avait-il regardés ? Cette pensée la fit rougir. Comme avait dû lui paraître bouillante cette union, quand il n’avait avec elle consommé que des lambeaux de plaisir ! Elle se dit qu’il devait souffrir de n’avoir pas su lui apporter ce que Raymond lui avait donné tantôt. Elle éprouva le besoin de le plaindre soudain et lui fit face.
– Louis, murmura-t-elle, dans un élan de spontanéité qui amena des larmes dans ses yeux.
Mais elle ne reçut en échange qu’un regard froid et dur comme l’acier, qui la fit reculer. Louis ganta d’une main de fer son coude droit et le serra à lui broyer l’os.
– Taisez-vous ! Votre seule voix m’horripile ! Demain, nous quitterons Antioche pour gagner Jérusalem ! Priez, ma dame, pour que la vue du tombeau du Christ apaise ma colère et vous accorde le pardon. Pour l’heure et jusqu’à nouvel ordre vous resterez dans votre chambre.
Moins d’une heure plus tard, tandis que se refermaient sur elle les lourdes portes de sa chambre, Aliénor entendit les gardes du roi croiser leurs guisarmes dans le corridor. Elle était bel et bien prisonnière. Sa tension se libéra d’un coup, et un spasme lui contracta l’estomac. Les yeux brûlants de larmes, elle se laissa tomber sur le lit en se tordant de désespoir.
Louis vint me trouver après avoir consigné la reine. J’étais occupée à filer avec les dames de Constance auxquelles j’apprenais l’art de manier le rouet, que mère m’avait enseigné merveilleusement. L’entrée du roi fit taire les commérages des dames qui, de France ou d’Antioche, avaient en commun le goût des intrigues amoureuses et des médisances, choses que j’écoutais d’une oreille distraite.
– Puis-je vous entretenir un instant ? me demanda-t-il sur un ton qui se voulait courtois mais résonnait comme un ordre.
Les regards des femmes se braquèrent sur moi et, curieusement, je me sentis gênée de l’approche de Louis. Il avait si peu l’habitude de s’annoncer ainsi. Je posai ma bobine dans le panier qui attendait à mes pieds.
– Votre Majesté me fait trop d’honneur.
– Voulez-vous que nous vous laissions, Sire ? demanda en bégayant d’émotion une duchesse proche de Constance qu’Aliénor avait promis d’emmener à la cour de France.
Il ne fallait pas être futé pour comprendre qu’elle s’était éprise du roi. Mais celui-ci balança sa main en un geste agacé.
– Inutile. Dame Loanna doit se rendre auprès de la reine. Je crains fort qu’elle ne puisse demeurer plus longtemps en votre compagnie.
– Par tous les saints du paradis, s’exclama une vieille femme plus ridée qu’une prune sèche, notre bonne reine serait-elle au plus mal que vous vous avanciez
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