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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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poursuivis, droit dans les yeux d’Étienne de Blois qui se tenait un pas derrière le roi avec ses acolytes :
    – Que la volonté de Dieu s’accomplisse et clame mon innocence devant tous, et qu’elle emporte dans sa justice ceux-là mêmes qui sont les véritables assassins.
    Étienne de Blois blêmit et se détourna aussitôt de mon regard comme s’il l’avait brûlé plus assurément que cette croix qu’un jeune novice me présentait maintenant au bout d’une lance.
    J’eus un sourire confiant pour Aliénor, qui se signa, puis je m’approchai du symbole rougeoyant. Ma langue s’y posa sans crainte. Une seconde seulement, le temps de sentir s’assécher la salive au contact du feu. Puis je m’avançai vers mes juges et la leur tendis avec désinvolture.
    L’évêque l’examina et s’en retourna chuchoter à l’oreille du roi, qui se leva à son tour pour vérifier ses dires.
    Aliénor tremblait. Elle s’efforçait de garder son calme, mais je devinais ses efforts pour ne pas défaillir.
    Louis me couvrit de ce sourire qu’il réservait à ses meilleurs jours, et je compris que mon instinct ne m’avait pas trompée. D’une voix forte autant que satisfaite, il annonça le verdict :
    – Le Très-Haut a rendu Son jugement. Damoiselle de Grimwald ne porte aucune trace de mutilation. En foi de quoi je déclare, moi, Louis septième du nom, roi de France, que celle-ci est innocente des crimes dont on l’accuse. Dieu tout-puissant, j’en appelle à Ta loi ! Avant que ces cendres soient froides, que le véritable coupable soit châtié de Tes mains ! Qu’il en soit ainsi, pour la gloire de Dieu et le salut du monde !
    Il y eut une clameur de joie dans l’assistance, et des bonnets furent lancés haut dans le ciel piqueté d’étoiles. Triomphalement, je me tournai vers la foule et, trouvant le regard de Jaufré dans lequel dansaient les flammes du brasier, je murmurai pour lui seul :
    – Je t’aime.
    Au moment où je rejoignais les proches de la reine, une silhouette voûtée recouverte d’un mantel nauséabond m’accosta pour s’effondrer aussitôt dans mes bras. Comme je tentais de la redresser, son capuchon tomba en arrière, découvrant sa chevelure emmêlée et ses yeux hagards. Je poussai un cri de surprise et d’effroi :
    – Sibylle !
     
    Ce fut seulement le lendemain que la comtesse de Flandres nous raconta. Ceux que nous avions laissés à Adalia dans l’attente d’un navire avaient été trahis. Lorsqu’un soir un émissaire se présenta pour les convoyer jusqu’au port, ils le suivirent sans méfiance. Sur les quais, de nombreux navires étaient accostés. Le temps de s’inquiéter de celui qui devait les prendre, ils étaient cernés de Turcs. Les hommes tirèrent l’épée et tentèrent de protéger leurs compagnes, mais ils furent vite submergés par le nombre. Sibylle comprit la première ce qui les attendait. Nombre de tonnelets s’entassaient sur le port, prêts à être chargés. L’ombre d’un bateau la dissimulant un instant aux regards ennemis, elle en profita pour se faufiler au milieu d’eux. En s’agenouillant pour se cacher, elle avisa à sa droite un fût renversé, vidé de son contenu. Elle s’y glissa en retenant son souffle. Les Turcs ne la cherchèrent pas. Elle entendit les hurlements de ses compagnes, se demanda pourquoi les quais étaient déserts, pourquoi personne ne répondait à leurs appels. Puis il y eut du mouvement sur un navire et elle comprit qu’on les embarquait. Un bruit de ferraille lui fit supposer qu’on levait l’ancre. Ensuite ce fut le silence, balayé par le mouvement de l’étrave fendant l’onde.
    Elle resta longtemps sans bouger. Elle allait se décider à sortir, lorsque des voix lui parvinrent. Plusieurs hommes s’interpellaient, l’un d’eux annonça qu’il fallait jeter les corps à la mer, afin que ne subsiste aucune trace. Sibylle retint un cri, tandis que les « plouf » se succédaient. Pas un homme n’avait réchappé. Elle savait que l’un de ces corps était celui de son époux. Elle était transie de peur, de froid et de chagrin. De nouveau ce fut le silence. Long, interminable silence. Lorsque l’aube pointa, elle se risqua hors de son abri. Elle ne savait où aller. Que faire. Alerter ceux d’Adalia ? Et si c’étaient eux qui les avaient vendus ? Les Turcs étaient venus sur le vaisseau affrété par le basileus et repartis de même. Titubant, elle avait renoncé à paraître.

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